
2023
- « Éveil/Alive » disponible pour la circulation
- « The Dead Web – La Fin » disponible pour la circulation
2022
2021
2020
2019
- Résidence de réseautage et de prospection pour commissaires
- « The Dead Web – La fin » au Mapping Festival
- « The Dead Web – La fin » au Mirage Festival
2018
- Politique de diversité et d'égalité des chances
- Molior 15 ans | Publication en ligne sur le site de la Fondation Daniel Langlois
- MIRAGE FESTIVAL
2017
- SIGNAL FESTIVAL 5e édition à Prague (République tchèque)
- Biela Noc 3e édition à Bratislava (Slovaquie)
- Biela Noc 8e édition à Košice (Slovaquie)
2016
- Molior 15 ans | Colloque : Un art contemporain numérique. Conservation, diffusion et marché
- Molior 15 ans | Collecte de fonds
- Molior 15 ans | Rythmes des imaginaires, outils et œuvres technologiques
2014
2012
2011
- TransLife International Triennial of New Media Art 2011
- Fanfare (Ottawa)
- Captatio oculi
- fou de circuits
2010
- Contrainte/Restraint : Nouvelles pratiques en arts médiatiques du Brésil et du Pérou (São Paulo)
- [IR]rationnel
2009
- Contrainte/Restraint : Nouvelles pratiques en arts médiatiques du Brésil et du Pérou (Montréal)
- eARTS BEYOND : Shanghai International Gallery Exhibition of Media Art
- Fanfare (Montréal)
2008
2007
2006
2005
- FILE 2005
- VAE 9 – Festival Internacional de Video/Arte/Electrónico
- Rotoscopic Machines
- Totem sonique (Montréal)
- Silverfish Stream
À l’intérieur/Inside /
Sylvie Parent
Il ne fait pas de doute que nous vivons à présent dans un monde où les technologies de l’information et de la communication ont colonisé tous les territoires de l’activité humaine, aussi bien dans l’espace public que privé. C’est dans le contexte urbain que ce phénomène se fait sentir de façon plus évidente. S’il touche en premier lieu les grandes villes et leurs citoyens habitués aux sollicitations de toutes sortes et au rythme accéléré des échanges, ce mouvement vers l’informatisation de notre environnement et l’accès délocalisé des données ne peut que s’accentuer et se généraliser.
La présence croissante des technologies numériques et des réseaux de communication a pour effet de transformer profondément l’expérience de l’espace habité et traversé. Elle se traduit par une multiplication des écrans permettant l’affichage de contenus électroniques tant sur les murs que sur des présentoirs et supports de toutes sortes, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des architectures. Les outils de communication individuels, quant à eux, participent de ce même envahissement des écrans dans les activités et les espaces personnels de l’individu.
L’omniprésence des écrans, petits et grands, a pour effet d’introduire des expériences sensorielles qui rivalisent avec l’épreuve de l’espace physique. Elle contribue à entremêler des perceptions et des sensations multiformes de même qu’à produire des conceptions spatiales hétérogènes qui demandent résolution. En prenant place dans l’espace et en se superposant aux surfaces des lieux et des objets abordés par l’individu, les écrans modifient le rapport construit avec le monde, créant un espace «augmenté».(1)
Or, l’instabilité des contenus présentés par ces surfaces électroniques alimente une superficialité, une extériorité toujours en train de se refaire. C’est que l’écran n’est pas une surface pour lui-même. Sa nature est de montrer quelque chose, toujours autre chose. En se superposant à une autre surface qu’il remplace, il introduit une rupture dans la continuité de l’espace physique, une zone vide qu’il essaie de remplir continuellement, comme s’il cherchait à cacher cette usurpation, à combler le trou qu’il pratique dans le réel. (2) L’écran se charge de contenus, tel un réservoir sans fin, pour s’acquitter de son rôle de surface. Il trouve sa valeur dans son activité incessante, dans le remplacement, le renouvellement de sa face. Tout occupé qu’il est à assurer sa présence épidermique, par le moyen de contenus rapidement supplantés, la profondeur a peu de chance de s’y établir.
Dans quelles conditions la « superficialité » renouvelée de l’écran peut-elle mener à l’intériorité? Par quels moyens ces informations numériques éphémères, discontinues et inconstantes parviennent-elles à se frayer une voie vers l’espace intérieur de l’individu, vers l’intégration, la compréhension, l’expérience de la pensée? Les artistes sont souvent les premiers à s’intéresser aux effets des transformations de l’environnement social et culturel sur l’expérience humaine. L’ubiquité de l’écran et l’expérience spatiale composite qu’il entraîne sont au cœur de la réflexion de plusieurs d’entre eux.
Dans leur pratique, certains artistes ont opté pour une présence plus matérielle de l’écran, l’engageant dans un dialogue inattendu avec son environnement ou concevant des interfaces tangibles inusitées en vue de créer un lien physique plus significatif pour l’utilisateur. Tact de Jean Dubois et Perversely Interactive System de Lynn Hughes et Simon Laroche sont des œuvres qui emploient de telles stratégies en vue de contester la familiarité acquise avec l’affichage numérique, ses usages et ses conventions.
Au cours des dernières années, Jean Dubois a réalisé un ensemble de projets interactifs avec écrans tactiles qui engagent le participant à établir une continuité physique avec des contenus numériques au moyen du toucher. Avec Tact, le participant fait apparaître un visage en appuyant sur un écran d’abord flou et semble saisir momentanément son image fugace. Écrasé contre l’écran, ce visage paraît contraint non seulement d’obéir au déplacement du doigt du participant, mais aussi de s’en tenir à un espace très peu profond. Or malgré cette présence, le face à face ne s’instaure jamais tout à fait, le personnage retournant dans son espace indistinct aussitôt l’activité de toucher terminée. Le va-et-vient de part et d’autre de l’écran découlant de cette interaction crée un supplément spatial mais ne parvient pas à réaliser un véritable approfondissement. C’est plutôt un miroir circulaire qui, encadrant l’écran, lui offre une surface paradoxale à la fois absorbante et réfléchissante pour en faire un instrument de connaissance favorisant l’engagement et le retour sur soi, dispositif de médiation essentiel à la création d’une intériorité.
C’est aussi une rencontre avec un personnage virtuel que proposent Lynn Hughes et Simon Laroche avec Perversely Interactive System. L’accomplissement de ce face à face dépend ici entièrement de l’utilisation d’une interface tangible mesurant le métabolisme interne du participant, la recherche d’un état de détente étant une condition fondamentale à l’échange souhaité. Perversely Interactive System offre ainsi une situation interactive tout à fait inhabituelle en s’adressant au monde sous-cutané, à l’être biologique. Cette conscience intérieure, toute corporelle soit-elle, ne se limite pourtant pas à une expérience purement physiologique. La présence engageante du personnage et l’évolution progressive de la rencontre gardent le participant dans l’expectative. L’exercice de la détente se fait dans la durée et s’accompagne d’une lenteur favorable à une intériorisation plus globale, rejoignant l’affectivité et l’intellectualisation. Le participant fait l’expérience d’un espace concomitant, d’un passage entre son monde intérieur et une manifestation objective qui prend appui sur l’altérité.
Pour d’autres artistes, l’ubiquité de l’image numérique et sa distribution font l’objet d’une attention particulière. Ils examinent le sort réservé à l’identité dans des situations où l’individu se trouve sollicité par des écrans multiples ou encore lorsque sa présence elle-même est partagée entre différents lieux par l’entremise de réseaux. Dans ces œuvres, la question de l’incarnation de soi et de l’image figure au premier plan. L’œuvre d’Alexandre Castonguay intitulée Digitale et l’habitgram de beewoo, par exemple, poussent à réfléchir à de telles questions.
Digitale, une installation interactive d’Alexandre Castonguay, invite le visiteur à s’asseoir et à utiliser un vieil appareil photo qui lui permet de produire à la fois des images vidéo diffusées sur un écran tactile et des images fixes projetées sur le mur. Apparentées parce qu’elles résultent du même appareil et du même environnement, ces images offrent toutefois des expériences fort différentes. L’image encastrée dans le banc affirme son désir de continuité et de matérialité tandis que celle, fixe, qui est projetée expose son caractère éphémère, sa dégradation, son immatérialité. Digitale amène le participant à faire l’expérience de temps et d’espaces hétérogènes en prenant en considération l’impact des technologies sur l’incarnation de l’image. L’appel à la tactilité et à la préhension le concerne physiquement et l’amène à agir comme réalisateur de l’image et/ou comme acteur dans l’image. Il est en mesure d’assumer différents rôles dans l’installation, qui le confirment comme auteur et/ou sujet de la représentation, le rendant actif et présent dans cet exercice de dissociation et de distribution de l’image. Il est ainsi impliqué dans un processus qui l’amène à évaluer l’incidence de sa subjectivité dans le monde technologique.
Pour sa part, l’habitgram de beewoo met à l’épreuve la conception spatiale qu’a l’individu de son corps et du lieu qu’il occupe en proposant au participant de revêtir un manteau doté de caméras. Ce que le vêtement voit de ses multiples « yeux » ne correspond pas à ce que le participant perçoit lui-même, l’habit instaurant des écarts et des décalages qui ont pour effet de déstabiliser la perception. Les images projetées, obliques, instables et changeantes, ne se conforment jamais tout à fait au format orthogonal de l’architecture ni même à la verticalité du corps. En s’enveloppant du manteau, le participant étend déjà ses limites dans l’espace – il se « couvre » d’espace. Les murs qui portent les images produites par le manteau deviennent à leur tour un « habit » plus grand. L’expérience de l’habitgram invite à assimiler et à définir l’espace, non plus comme dissocié de soi mais comme un prolongement. Instrument de distribution de soi, l’œuvre donne lieu à une perte d’orientation, à une confusion spatiale et identitaire qui suscite la réflexion. La spatialisation de l’individu, son rayonnement dans le lieu conduisent à une évaluation critique des dispositifs de création et de diffusion de l’image et de l’individu. Ils expriment aussi la volonté de l’individu d’établir une intimité, une continuité spatiale avec le monde qui l’entoure.
D’autres projets artistiques en nouveaux médias portent une attention particulière aux dimensions qui échappent aux sens et qui traduisent la profondeur cachée du réel. Ils manifestent la complexité du monde, son épaisseur et sa plénitude dans le but de contrer l’excès de superficialité entraîné par l’omniprésence des écrans et les sollicitations qui maintiennent l’individu dans une extériorité constante. C’est le cas, par exemple, de wave_scan de Brad Todd et du projet DATA de Æ.
Le projet wave_scan de Brad Todd extériorise sur les plans sonore et visuel des phénomènes non visibles mais néanmoins présents, faisant ainsi surgir de l’espace environnant une intériorité insaisissable par les sens et même par les outils de captation habituels. La lecture des fluctuations électromagnétiques à fréquences très basses s’exprime par des bruits insolites et des images d’eau se succédant à un rythme lent, ayant pour effet de créer un environnement à la fois poétique et énigmatique. Par leur caractère ambigu, les sons et les images qui traduisent cette plénitude s’affirment dans l’espace dans le but de solliciter des actes de création mentale subjectifs. Les images d’eau prises dans différents contextes créent une continuité thématique et réfèrent à la présence universelle de cet élément, de même qu’à ses qualités de fluidité et d’adaptation. L’omniprésence et l’universalité de l’eau ont le potentiel de produire une résonance symbolique pour chaque individu, d’en appeler à la mémoire personnelle et de rejoindre ainsi le monde intérieur.
De même, le projet DATA, comme plusieurs autres œuvres de Æ, résulte d’une quête de l’imperceptible, d’une recherche sur les niveaux de réalité souterrains en retrait des apparences. Réalisées grâce à une résidence dans un laboratoire scientifique spécialisé en nanotechnologie, les images numériques de DATA engagent le regard dans une profondeur de la réalité totalement inaccessible aux sens.(3) Résultantes d’une instrumentation complexe dans le domaine de l’analyse et de l’imagerie scientifiques, elles demeurent pourtant mystérieuses et résistent à l’identification, à une interprétation didactique. Leur ambiguïté entretient plutôt la curiosité à leur endroit et encourage l’activité d’observation. Elles sont réinvesties dans l’espace architectural en épousant la configuration du lieu, en adhérant à sa structure et en réaffirmant leur lien au monde, la réalité qu’elles décrivent étant bel et bien fondée sur le monde physique. DATA propose de lire ces images, de les parcourir et de les sonder, de considérer ainsi le réel dans sa complexité, dans sa profondeur.
L’extériorité est inséparable de l’intériorité et toute manifestation extérieure suppose une profondeur, un déploiement, une prolongation au-delà de la surface : «(...) quand nous voyons ce qui est devant nous, pourquoi quelque chose d’autre toujours nous regarde, à imposer un dans, un dedans?», écrivait Georges Didi-Huberman. (4) Ainsi, la superficialité de l’écran demande à être dépassée, approfondie, retournée, investie. À l’encontre de la tendance à l’extériorité, ces artistes proposent précisément un engagement physique, affectif et intellectuel, une spatialisation expressive de l’écran. Ils mettent en scène l’image numérique de façon à créer une tension créative entre un dehors et un dedans de la surface écranique. Ce faisant, ils parviennent à en faire un espace favorable à la provocation de l’imaginaire.
Sylvie Parent
Avril 2006
- Voir Lev Manovich, The Poetics of Augmented Space, 2002-2005 (à www.manovich.net).
- Olivier Asselin écrivait à ce sujet : «(...) ainsi trouée par une multitude d’écrans et de caméras qui, sans cesse, captent et transmettent des images, exportent et importent des informations variées, notre expérience met en relation des espaces et des temps différents, proches et lointains, privés et publics, présents, passés et futurs, réels et virtuels, factuels et fictionnels – comme une passoire à plusieurs dimensions. » (« Écrans numériques », Parachute, Montréal, Canada, no 113)
- Sur les techniques de visualisation des données dans le domaine des nanotechnologies, voir Jim Gimzewski et Victoria Vesna, « Le syndrome nanomémique », HorizonZéro, Banff New Media Institute, Canada, no 14.
- Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit, 1992, p. 10.