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- « The Dead Web – La Fin » disponible pour la circulation
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- « The Dead Web – La fin » au Mapping Festival
- « The Dead Web – La fin » au Mirage Festival
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- Molior 15 ans | Publication en ligne sur le site de la Fondation Daniel Langlois
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2016
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- Molior 15 ans | Collecte de fonds
- Molior 15 ans | Rythmes des imaginaires, outils et œuvres technologiques
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- TransLife International Triennial of New Media Art 2011
- Fanfare (Ottawa)
- Captatio oculi
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2010
- Contrainte/Restraint : Nouvelles pratiques en arts médiatiques du Brésil et du Pérou (São Paulo)
- [IR]rationnel
2009
- Contrainte/Restraint : Nouvelles pratiques en arts médiatiques du Brésil et du Pérou (Montréal)
- eARTS BEYOND : Shanghai International Gallery Exhibition of Media Art
- Fanfare (Montréal)
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2006
2005
- FILE 2005
- VAE 9 – Festival Internacional de Video/Arte/Electrónico
- Rotoscopic Machines
- Totem sonique (Montréal)
- Silverfish Stream
Magnitudes et Saisissement à la Maison de la culture Frontenac /
Sylvie Parent
Avec Magnitudes, François Quévillon propose un environnement sonore, visuel et tactile que le visiteur transforme, d’abord par sa présence, puis par ses gestes. L’atmosphère sonore enveloppante qui l’accueille s’intensifie au fur et à mesure qu’il s’approche d’un objet cubique à la surface lumineuse. L’écran souple qui repose sur l’objet se met alors à vibrer et le son émis, tel un vrombissement, s’accroît toujours plus lorsqu’il surplombe l’objet ou en effleure la surface. Cette ambiance sonore s’accentue encore davantage lorsque plusieurs personnes participent à l’installation.
Par sa présence seule, le participant perturbe le silence et bouleverse la quiétude. Il a une résonance grandissante dans le lieu de l’installation. Déjà, avant même de considérer la surface de l’objet, de se pencher au-dessus d’elle et de la toucher, il prend connaissance d’un environnement réceptif à sa présence et à ses déplacements. Cette extension acoustique à son parcours lui procure une conscientisation de son corps dans l’espace, une certaine prise de conscience de soi. L’ambiance sonore qui découle de son déplacement l’invite à poursuivre son interaction avec l’objet en le confirmant comme sujet.
Montrant l’image vidéo d’une masse glacée qui fond lentement, la surface de l’objet est recouverte d’une fine couche de matière granuleuse blanche rappelant la neige. Lorsque le visiteur touche cette matière, le bruit augmente, faisant vibrer la surface couple de l’écran et sautiller les petits grains blancs au-dessus de lui. Par ailleurs, lorsqu’il bouge la main au-dessus de cet objet ou touche l’image, des fissures virtuelles correspondant à ses mouvements se dessinent sur la surface glacée, accompagnées de sons de craquements. Le participant passe ainsi à une intervention encore plus active, liée à sa gestualité et ayant une incidence directe on seulement sur l’environnement sonore, mais aussi sur la matière et l’image qui se trouvent devant lui.
Magnitudes utilise les références à l’hiver (glace, neige) pour plonger le spectateur dans un climat qui lui est familier mais qui contraste, par ailleurs, avec le lieu dans lequel est présentée l’installation. L’évocation du froid et de ses manifestations matérielles, dans un environnement à l’abri des fluctuations climatiques, contribue à créer une atmosphère singulière et envahissante, un espace fictif lié à l’imaginaire sensoriel. Mais ce n’est pas uniquement la mémoire des sensations qui est sollicitée. L’expérience bien tactile qui est proposée confronte cet imaginaire sensoriel d’une manière puissante et intime tout à la fois. Grâce à une matière véritable superposée à l’écran tactile, les comportements actuels alimentent les effets virtuels, les mêmes gestes ayant des effets distincts mais couplés, entremêlés, fusionnant la réalité et la fiction, la mémoire et l’actualisation, la sensorialité et l’intellectualisation.
Les particules blanches qui glissent entre les doigts, s’accumulent sous la poussée ou la pression rappellent le plaisir de manipuler la neige, de la voir prendre des formes diverses selon la volonté qui s’exerce sur elle. La main peut créer des sillons, des monticules, étaler la matière en une couche lisse. La surface devient comme une carte sur laquelle dessiner un plan en relief. Elle peut évoquer le paysage, les cartes géologiques, les images satellites. Les craquelures virtuelles, des lignes brisées qui apparaissent dans l’image de la glace en réaction aux parcours de la main au-dessus de l’écran, sont comme des itinéraires tout autant que des tracés aléatoires qui s’y superposent pendant un moment. L’aspect ludique de ce dispositif double rappelle tout aussi bien le carré de sable que le jeu de « tablette graphique » (Etch-A-Sketch), des amusements simples qui convoquent une participation naturelle et universelle.
Ces actions menées par les participants n’on pas de destin durable. Elles sont appelées à être modifiées ou supprimées l’instant suivant par leur auteur ou toute autre personne qui se joindra à lui ou le remplacera. Ce sont des gestes éphémères, limités dans leur temporalité, s’accordant avec l’instabilité des phénomènes naturels à laquelle ils réfèrent. Ils font appel au désir de simuler, d’explorer et d’inventer. L’investissement demandé au participant demeure celui d’une activité simple et libre, sans but établi. L’installation l’invite à refaire le monde par le jeu.
Par ailleurs, les craquelures sur la glace ou le grondement intense peuvent aussi évoquer des perturbations climatiques violentes pouvant avoir des répercussions dangereuses pour l’individu. Magnitudes fait allusion à la puissance des phénomènes naturels, à leur imprévisibilité et à leur aspect incontrôlable. En surplombant la surface interactive, en dirigeant cette activité « naturelle », le participant se trouve dans une situation de « maîtrise relative » face à ces forces immenses. Même s’il agit sur ces phénomènes naturels, tout simulés qu’ils soient, il ne les contrôle pas tout à fait. Il apprivoise plutôt leur instabilité dans une expérience à caractère ludique, ses propres gestes ayant des effets déstabilisants, quoique restreints dans leur portée et temporaires dans leur action.
Dans un contexte technologique comme celui-ci, l’évocation de phénomènes naturels invite à réfléchir sur les rapports entre la nature et l’artifice. Pour sa part, Magnitudes propose une situation qui permet d’établir une connexion avec des forces chaotiques, d’y associer sa propre intervention grâce à une expérience multisensorielle intense qui confirme le visiteur comme sujet. L’installation nous invite à nous relier à ces forces naturelles non pas dans une attitude de conquête, mais de complicité au moyen d’une interaction à caractère ludique.
***
Misant sur une expérience tactile et un rapport physique avec le participant, Saisissement de Clara Bonnes engage les visiteurs à manipuler des objets aux formes arrondies qui permettent d’explorer des vidéos interactives. Disposés dans des plates-formes creuses prenant place sur des socles bas, ces objets sont conçus pour être aisément soulevés et tenus dans les mains. Ils laissent voir de petits écrans à cristaux liquides qui ne livrent leur contenu qu’une fois l’objet pris en main, pris avec soi.
De la dimension d’un petit ballon et dotés d’une forme vaguement anatomique – pouvant rappeler une tête, un ventre ou même un très jeune enfant -, ces éléments encouragent la saisie. La texture un peu caoutchouteuse du silicone qui les recouvre peut, quant à elle, fait penser à une peau, adhérant aux mains, retenant la prise et prolongeant l’activité du toucher. Faits de matière spongieuse à l’intérieur, les objets s’écrasent un peu sous la pression, comme le ferait un ballon ou une partie charnue du corps. D’un blanc translucide et affichant un fini lisse, ils ont toutefois un caractère artificiel et étrange qui conteste leur affinité directe avec le corps humain.
Le participant a donc affaire à des objets un peu anthropomorphiques mais aussi clairement artificiels qui ne cachent pas leur association au monde fabriqué. S’il est vrai que l’allusion au corps peut prédisposer à un certain rapprochement, elle peut aussi le contrarier. Le toucher suppose une intimité qui ne peut se réaliser qu’à certaines conditions variant selon les individus et les conventions sociales. C’est pourquoi l’apparence artificielle de ces objets joue en leur faveur en confirmant leur caractère élaboré, construit. Cette duelle suscite l’intérêt en même temps qu’elle provoque un certain malaise, une attente irrésolue.
Lorsque le visiteur prend un des trois objets, qu’il s’assoit pour le contempler à sa guise, il considère une image fixe qui apparaît dans l’écran. En appuyant sur l’objet muni de capteurs sensibles à divers endroits, il parvient à déclencher la vidéo et à animer l’image. Le plan fixe se met alors à bouger et son point de vue change. Le visiteur se voit transporté d’un endroit à un autre, ailleurs, toujours plus loin. Plus il presse l’objet, plus le déplacement s’accélère, l’entraînant dans un travelling avant. En faisant varier la pression qu’il exerce sur l’objet, il avance lentement ou rapidement, s’arrête ou recule, selon son désir de découvrir ce qui se trouve au bout du parcours.
Avec cette exploration interactive, Saisissement joue sur la curiosité, la volonté de s’engager dans une trajectoire. En visitant cette image, le participant part à la recherche, à l’aventure, sans trop savoir ce qui l’attend, le cheminement qui lui est proposé alimentant continuellement son intérêt sans le combler totalement. Sa quête exige une détermination constante s’il souhaite voir la vidéo jusqu’à son dénouement. En appuyant sur l’objet, il en exprime le contenu, d’une manière qui rappelle l’activité de presser une orange pour en extraire le jus. Or ce contenu ne lui est dévoilé qu’après un effort soutenu, une manifestation physique et tactile de son désir d’explorer et de trouver.
Chaque itinéraire le mène vers l’observation d’un individu occupé à une activité individuelle dans un lieu public (bibliothèque, motel, centre sportif) qui varie selon les trois objets interactifs mis à sa disposition. Il trouve donc une personne en fin de parcours, mais toute rencontre véritable s’avère impossible. Le spectateur devient plutôt témoin d’un geste, d’une attitude corporelle, de l’engagement d’un autre individu dans une occupation qui ne concerne que lui-même. Après avoir circulé dans un lieu public et anonyme comme s’il avait parcouru une image sans identité, le spectateur se retrouve devant une sorte de portrait vivant.
Accessible – il est visible, physiquement présent dans l’image -, mais non disponible – il est ailleurs, son monde intérieur est captif - , l’individu demeure insaisissable au bout du compte. C’est alors que le spectateur peut constater l’analogie pouvant être établie avec sa propre situation, absorbé qu’il est dans une activité individuelle dans un lieu public tout comme cet individu qu’il a observé. Par une sorte de mise en abîme, de similitude décalée, il est ainsi ramené à lui-même, à son propre comportement, tout employé qu’il est à saisir l’autre. L’installation invite ainsi à considérer cette situation paradoxale dans laquelle se trouve l’individu lorsque son univers intime est sollicité dans un contexte social.
En définitive, l’œuvre mise justement sur les références multiples de la notion de saisie : toucher, prendre, comprendre, être pris, éprouver. Le fait de toucher et de prendre avec soi physiquement coïncide avec un engagement mental et émotif, une intériorisation sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude l’étendue de ce déplacement intérieur. En mettant à l’épreuve cette volonté de saisir l’extérieur des choses et des êtres pour accéder à leur monde intérieur, Saisissement nous fait prendre conscience de cette dualité et du caractère insaisissable de l’univers intime.
Sylvie Parent