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« The Dead Web - The End » au musée Ludwig

Budapest, Hongrie

Du 24 janvier au 21 mars 2020

Artistes

« La fin d’Internet serait-elle pour bientôt ? »

Tout a commencé en mai 2015, lorsque j’ai lu sur lemonde.fr un article qui postulait la possibilité d’un effondrement du World Wide Web. Bien que cet évènement soit hautement hypothétique, plusieurs articles ont été écrits sur le sujet, en réaction à un symposium scientifique organisé par la Royal Society sur la « capacity crunch » (crise de capacité) d’Internet.

Dans un contexte où le réseau pourrait s’effondrer avant même la fin de son « adulescence » – en 2023, le Web tel que nous le connaissons aura à peine plus de 25 ans –, on peut tenter de figurer la chute et une forme d’après-monde du Web : Carcasses vides de serveurs et mers de déchets électroniques ? Néant numérique des écrans ? machines imitant le Web ? Internet artisanal ? Quelle forme l’expression, à la fois dématérialisée et délocalisée, du pouvoir – économique assurément et par défaut politique – prendrait-elle si la machine se trouvait débranchée ? Mais aussi, qu’est-il possible de faire ou de dire en attendant ?

Comment occupe-t-on – ou pas – un temps et un espace dits de sursis, un espace-temps désormais partagé entre les réalités numériques et physiques ?

C’est dans la foulée de ces réflexions qu’ont été rassemblées ici des propositions artistiques faisant écho aux questions soulevées. L’exposition originale était composée d’artistes québécois et nous avons pour l’occasion ajouté des œuvres d’artistes hongrois, certaines sélectionnées grâce à un appel à projets, d’autres provenant de la collection du Musée Ludwig ou choisies parmi les œuvres web pionnières appartenant aux archives de C3 – Center for Culture & Communication. Nous avons également ajouté des œuvres d’artistes suisses ayant participé à l’exposition The Dead Web présentée dans le cadre de la dernière édition du Mapping Festival. Cette approche offre une perspective particulière à partir de laquelle nous pouvons développer et analyser la façon dont nous envisageons le Web et, du même coup, la possibilité de sa disparition.

[Nathalie Bachand, commissaire]

 

The Dead Web – La Fin a été présentée pour la première fois au centre d’artistes Eastern Bloc, à Montréal, en janvier-février 2017, puis au Mirage Festival à Lyon, France en avril 2019, et finalement au Mapping Festival à Genève, Suisse en mai-juin 2019.

Ce projet est produit par le Musée Ludwig – Musée d’art contemporain et Molior. Il a obtenu le soutien du EMMI (Emberi Erőforrások Minisztériuma), du Müpa, du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du gouvernement du Québec, de Pro Helvetia, du Conseil des arts de Montréal, de LOJIQ – Les offices jeunesses internationaux du Québec, du Goethe-Institut et de Samsung.

Le partenaire associé du Musée Ludwig – Musée d’art contemporain est C3 – Center for Culture & Communication.

Nathalie Bachand

Commissaire indépendante, Nathalie Bachand s’intéresse aux enjeux du numérique et à ses conditions d’émergence dans l’art contemporain.

Parmi ses projets de commissariat, son exposition The Dead Web – La fin, initialement présentée à Eastern Bloc (2017), a été coproduite par Molior en Europe : Mirage Festival à Lyon (2019), Mapping Festival à Genève (2019) et Ludwig Museum à Budapest (2020), en co-commissariat avec Béla Tamás Kónya.

Elle était commissaire invitée pour Art souterrain 2021 – Chronométrie. Son exposition DataffectS a été présentée à la Galerie de l’UQAM (2022), et elle a en outre co-commissarié, avec Sarah Ève Tousignant, le festival SIGHT+SOUND 2022 – Danser en attendant (la fin du monde), organisé par Eastern Bloc (2022).

Nathalie Bachand est membre de l’Association Internationale des Critiques d’Art (AICA) et siège au conseil d’administration d’Avatar à Québec.

Auparavant responsable du développement pour ELEKTRA-BIAN (2006-2016), elle est actuellement codirectrice artistique et chargée de projet pour Sporobole. Elle vit et travaille à Montréal.

Béla Támas Kónya

Béla Támas Kónya est titulaire d’un doctorat en conservation des arts médiatiques (théorie et pratique) et d’un absolutorium de l’école doctorale de l’Université hongroise des beaux-arts. Depuis 2008, il est conservateur en chef au Musée Ludwig, où il travaille principalement à développer et à mettre en œuvre une stratégie de conservation préventive des collections du musée, en particulier l’art contemporain.  

Ses principales responsabilités comprennent la gestion du service de préservation et de conservation des collections du musée, la conservation des œuvres d’art contemporain, et la gestion des expositions. Son rôle consiste également à promouvoir l’art contemporain, notamment les arts médiatiques, qui font aussi partie du patrimoine culturel. Il veille également à ce que la diversité culturelle soit promue comme une valeur fondamentale, et il supervise la conception et le développement de projets impliquant une étroite coopération avec des partenaires à l’échelle nationale et internationale. De plus, il administre le développement et l’implantation d’une stratégie à long terme de conservation préventive et de numérisation des collections, et il est impliqué dans le développement du futur Institute of Collection Care Methodology.

 Béla Támas Kónya consacre beaucoup de temps à la coordination d’expositions. Il a été commissaire en chef de l’exposition d’arts médiatiques ‘Save As…’ – What Will Remain of New Media Art?, présentée au Musée Ludwig en 2017. Il travaille en étroite collaboration avec de nombreux artistes et commissaires en art contemporain, ainsi qu’avec des institutions vouées au commissariat, à la présentation et à la conservation d’œuvres d’art contemporain à travers le monde (ZKM | Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe, MoMA, MET, Tate, BOZAR, Université de New York, Goethe- Institut, LIMA, etc.). Doté d’une solide expérience et d’un vaste réseau de relations, il contribue activement à la recherche en matière de conservation et de préservation des œuvres d’art, présentes ou à venir.

Artistes et oeuvres

Bálint Bori
Half-Time
2001
Sculpture sonore
Métal, plastique, élastique, cellule photovoltaïque, sucre en morceaux
Devant nous se trouve une construction en forme de tour composée de divers objets —boîte à biscuits de Noël, boîte à thé, petite boîte de conserve, etc. — constituant l’orchestre, alors que la batterie solaire tient le rôle de chef d’orchestre et que des cordes subtilement placées en divers endroits assurent la mélodie.
 
Le public peut contrôler cet orchestre improvisé en actionnant des sources lumineuses. En allumant la lumière suspendue au-dessus de la sculpture, on peut également déclencher le son d’un petit orchestre de chambre. Bálint Bori utilise l’énergie solaire pour faire jaillir le son de cordes de guitare placées dans des boîtes métalliques. Les cordes résonnent et les parois des boîtes relaient la mélodie à la lumière d’une lampe ou aux rayons du soleil.
 
L’utilisation de la lumière naturelle ou artificielle comme force motrice et élément créatif est l’un des plus beaux aspects de la série d’œuvres d’où provient celle-ci, par ailleurs construite selon une certaine tradition. Cette sculpture rappelle en effet les œuvres d’art activées par la lumière que l’on fabriquait autrefois au Mexique, en Égypte ou dans d’autres cultures anciennes.
 
En réalisant cet objet sonore entièrement composé de matériaux récupérés, Bori a créé un « ready made » dadaïste qui figure ici comme un artefact issu d’un monde disparu, celui qui existait avant que tout ne s’effondre autour de nous : le monde d’avant — ou d’après — notre ère numérique marquée par l’hyper-connectivité. L’œuvre est également une réflexion sur les hasards et les corrélations qui existent entre le passé, le présent et le futur. 

Bálint Bori vit et travaille à Berlin depuis 1985. Il crée des sculptures cinétiques et des dessins, et il joue des instruments de musique de sa propre fabrication. Il s’intéresse aux rapports entre les manifestations acoustiques et visuelles de phénomènes aléatoires et intermittents, à l’exploration des frontières entre les disciplines artistiques et scientifiques, ainsi qu’aux interactions entre les arts de la scène, la littérature et les arts visuels.

Il fut membre du groupe d’artistes INDIGO dans les années 70 et 80, en compagnie notamment du célèbre Miklós Erdély. Le nom du groupe, tiré de l’expression « Inter-Disciplinary-Thinking », témoigne de l’intérêt de ces artistes à s’interroger sur les fonctions et les possibilités de l’art, d’ailleurs considérées comme étant indissociables de toute pensée créative dans la société comme dans la vie.

Les installations sonores de Bori témoignent de l’approche existentielle propre à la poétique d’INDIGO. Ses sculptures qu’il appelle Cicadas sont des génératrices de capteurs de vibrations aléatoires, des mécanismes qui transforment les vibrations moléculaires en phases acoustiques et convertissent l’énergie lumineuse en énergie cinétique. Elles sont composées d’objets usuels et de rebuts évoquant le passé aussi bien que le futur. La plus récente grande exposition de Bori a été présentée à Berlin en 2013.

Brigitta Zics
Semiosphere : The Death of the Web
2020
 
Installation
 
dix sculptures de fibre de verres, couche de chroma, haut-parleurs, lecteurs audios

Semiosphere: The Death of the Web est une sculpture sonore immersive qui permet aux visiteurs de vivre un événement fictif, la fin d’Internet, et ses conséquences à partir d’une série de points de vue différents.

Dix casques d’écoute, tous dotés d’un système de son intégré et diffusant différents paysages sonores narratifs, sont suspendus au-dessus de nos têtes, en une installation qui évoque un essaim d’abeilles. La position de chaque casque détermine dans quelle direction est diffusé son contenu sonore, ainsi que l’expérience narrative qui y est liée. Chaque visiteur peut tracer son propre chemin à travers l’installation afin d’élaborer et de modifier le cours de l’histoire qu’on lui donne à entendre.

Semiosphere permet d’imaginer l’effondrement du monde tel que nous le connaissons. L’effondrement du réseau. L’effondrement de cet instrument globalisé qui régit notre vie quotidienne. Dans le cadre de cette expérience à la fois sonore et spatiale, les participants sont téléportés dans une salle d’attente bondée où ils peuvent entendre des propos banals échangés par des gens qui se retrouvent tout juste un mois après la mort du Web. Parmi les sujets triviaux et les références à des événements sociopolitiques importants de l’histoire humaine, se révèle peu à peu l’appréhension suscitée par l’idée de vivre sans Internet.

La trame sonore de l’installation est constituée d’un mélange d’archives sonores et de courts échanges entre des personnages fictifs évoquant ceux d’En attendant Godot de Samuel Beckett. Les visiteurs se laissent absorber par ces fragments de conversations dans lesquels ils pénètrent au hasard, alors que se manifeste peu à peu l’inquiétude suscitée par l’événement appréhendé, laissant deviner le contexte plus global d’un récit où il est question de se retrouver devant l’inconnu.

 
Cette installation a été créée avec le soutien du Fonds culturel national de Budapest et de C3 – Center for Culture & Communication Fondation à Budapest.

L’artiste Brigitta Zics, Ph.D., crée des œuvres dotées d’un système de perception visuelle et concrète qui permet de vivre des expériences inédites. Œuvrant à la frontière de l’art et de la science, elle crée des univers multimédia faisant appel à diverses techniques et technologies émergentes.

Diplômée de l’Université hongroise des beaux-arts, elle détient également un diplôme de l’Académie des arts médiatiques de Cologne (2004). Elle a reçu des bourses d’étude du DAAD, la bourse d’État Eötvös, et le prix Ludwig. Elle a effectué ses recherches doctorales en art à l’Université du Pays de Galles. En 2018, elle a été professeure invitée à l’Université hongroise des beaux-arts, et elle est devenue en 2019 professeure associée au Knowledge Lab de l’University College de Londres.

Son travail a été présenté dans le cadre d’expositions à Gwangju (Corée), Maribor (Slovénie), Vitória (Brésil), Shanghai (Chine), Los Angeles (États-Unis), Londres (Royaume-Uni) et Budapest (Hongrie). Elle a publié dans la revue Leonardo (MIT Press), et son livre, The Transparent Act (2018), propose une analyse interdisciplinaire de l’interactivité en art.

C3 – Center for Culture & Communicatioon
C3 Log
2006-2016
 
Site internet, GIF, vidéo, 8 min

Le premier site Web de C3 a été créé en juin 1996 par Zoltán Szegedy-Maszák, avec la collaboration de Miklós Peternák et dans un laps de temps assez court. La démarche s’est poursuivie par la suite, mais il est devenu urgent de créer une nouvelle page d’accueil et un nouveau concept graphique pour le site. Pour ce faire, Balázs Beöthy a choisi pour modèle le tableau périodique de Mendeleïev, et cette nouvelle page d’accueil, accessible à http://www.c3.hu/, a été lancée en 1997 et demeure toujours viable, vingt-deux ans plus tard, dans ses versions anglaise et hongroise.

Cette page d’accueil affiche 44 cases rectangulaires qui constituent autant de liens permettant d’accéder aux différents projets et contenus Web créés par C3, ainsi que d’autres projets hébergés sur notre serveur. Dès le début, six de ces cases, situées au milieu de la page, ont été utilisées comme une seule interface, un espace de notification concernant des projets nouveaux ou déjà en cours. Contrairement aux autres cases, dont le contenu était statique, celle-ci pouvait être « activée » à la manière d’une courte animation ou boucle en gif. Mais les cases à contenu statique ont également été modifiées au fil du temps, et à l’occasion du dixième anniversaire de C3, András Szőnyi a créé un site Web spécial permettant de découvrir en un clin d’œil tous les changements survenus au cours des années (voir http://www.c3.hu/log/).

En 2016, lorsque C3 a organisé une exposition sur le thème « Les médias temporels en art contemporain » (voir http://www.c3.hu/idoalap/?p=en), András Szőnyi a été invité à créer une version spéciale pour l’exposition, basée sur le modèle web/gif mais avec un ralentissement de la boucle vidéo. Cette nouvelle forme de présentation est devenue la « version galerie », qui n’offre pas la possibilité de cliquer sur l’image d’accès.

Dominique Sirois & Baron Lanteigne

In Extremis

2019

Installation. Écrans, céramiques (grès), tissus de polyester imprimés, câbles, gaines et lecteurs médias

In Extremis, de Dominique Sirois et Baron Lanteigne, est issue d’une toute nouvelle collaboration entre les deux artistes. Installation à la fois sculpturale et vidéo – aménageant des passages de l’un vers l’autre –, l’œuvre convoque les questions de l’espace liminaire entre le virtuel et le réel, de la matérialité du numérique et de l’obsolescence.

Par un assemblage proliférant d’écrans – fonctionnels et dysfonctionnels –, de câblages et de structures textiles, elle suggère un certain désordre où connexion et déconnexion dialoguent en discontinuité. Dans une virtualité qui nous échapperait, Internet survivrait-il à sa propre mort ? Cette question, qui reste bien sûr non résolue, alimente ici une réflexion sur la manière dont l’infrastructure du Web se prolonge au-delà de l’écran. Entre le hardware, le dispositif écranique et l’espace indéterminé du numérique, se trouve le geste – celui d’activer ce système. Différentes zones sont dévoilées : d’abord l’écran-portail de la réception et de l’émission de données ; l’écran tactile et son activation par la main, qui se prolonge en autant de phalanges de connectivité ; puis l’envers de l’écran – l’au-delà de l’écran ? L’infrastructure des réseaux, plus particulièrement les canaux de fibres optiques souterrains, sorte de système nerveux/osseux, révèle alors la fragilité du World Wide Web – à moins que cette fragilité ne soit que surface ?

Les installations de Dominique Sirois prennent la forme d’ensembles composés de céramiques, de sculptures, d’assemblages, de dessins et d’impressions. Son travail lie savoir-faire artisanal et ancrage conceptuel.
 
Elle déploie avec ses projets des espaces mentaux, des constructions formelles et sémiotiques usant d’objets et de référents économiques, esthétiques, archéologiques, technologiques et minéralogiques.
 
Baron Lanteigne est un artiste basé dans la ville de Québec. Sa pratique multidisciplinaire explore le chevauchement des mondes physique et virtuel à travers des écrans-portails. Son travail fait partie de nombreuses expositions et collections en ligne telles que The Wrong Biennale 2018, Real-Fake, SPAMMM et Vimeo Staff Picks.
 
Cette présence virtuelle est complétée par des projections dans de nombreux évènements internationaux tels que SAT Fest (CA), Art Souterrain (CA), Vector Festival (CA), Dutch Design Week (NL), Sónar+D (ES), CUVO Video Art Festival (ES), Electrofringe (AU), CPH:DOX (DK) et bien d’autres. Baron Lanteigne est aussi formateur et consultant technologique auprès d’artistes et de centres d’artistes.
Frédérique Laliberté

Infinitisme.com Forever A Prototype

2015-

Projet web et installation : éléments sculpturaux (métal, carton, fils), systèmes lumineux et haut-parleur, site web (ordinateur)

Infinitisme.com Forever A Prototype, de Frédérique Laliberté, est un projet web éternellement « en progrès », une machine à collage autonome qui génère des compositions virtuelles semi-aléatoires en allant chercher dans une banque de fichiers numériques catégorisés et classifiés : images, sons, gifs animés, vidéos, texte, etc. Le résultat de chaque visite est une série de constructions éphémères, basées à la fois sur la rigidité de l’archivistique et sur la désinvolture propre au hasard. Internet de fortune, sorte de mimesis de lui-même, ce site web ne peut que réutiliser et renouveler ce qui existe déjà, donnant une fonction à des centaines de giga octets de données latentes.

Plus spécifiquement, le programme active une série de commandes qui choisissent des fichiers au hasard au sein de leurs catégories respectives. Il place ensuite ces éléments organisés dans le canevas virtuel de la page web, à l’intérieur de compartiments, de couches et de séquences bien définis. Sous forme d’installation, le projet se présente comme un environnement contextuel : une simulation assumée d’un dispositif fonctionnel. Sans cesse en développement dans l’espace-temps virtuel, cet univers parallèle est extirpé de son abstraction lorsque visité par un utilisateur web.

La création de Infinitisme.com Forever A Prototype a été rendue possible grâce à l’appui financier du Conseil des arts et des lettres du Québec.

En solo et avec ses ami.e.s, Frédérique Laliberté se consacre à l’instauration, à la mise en œuvre et à la documentation d’activités diverses, parfois flottantes et/ou fictives. Sa pratique se manifeste dans une variété de formats, de médiums et de situations, son véritable amour restant toutefois le papier mâché.

Frédérique Laliberté détient une maîtrise en beaux-arts (MFA) de l’Université Concordia (Montréal). Artiste volubile, elle a présenté ses projets au Canada, en France, au Mexique, en Suisse, en Chine, dans le désert du Sahara et sur Internet. En dehors de ses occupations artistiques, elle étanche sa soif d’expérimentation en faisant du pain au levain et de la navigation côtière à la voile, et parfois les deux en même temps, sans vouloir se penser bonne. Elle vit et travaille à Montréal.

Gyula Várnai

LEM

2017

Vidéo (DVD)

7 min.

Cette vidéo a été réalisée pour la 57e Biennale de Venise, où elle a été présentée dans le cadre de l’exposition Peace on Earth! de Gyula Várnai.

Le projet Peace on Earth! de Gyula Várnai porte sur la viabilité et la nécessité des utopies ; sur le fait que, bien que nos projections de l’avenir ne se réalisent pas comme telles, il importe que chaque époque s’accompagne de nouvelles visions afin que l’humanité poursuive ses objectifs. Il semblerait qu’à l’heure actuelle, avec les avancées technologiques, la politique mondialisée, les crises économiques et naturelles, et les vagues de migration successives, notre conception de l’avenir évolue plus rapidement qu’auparavant.

Les idées de l’auteur de science-fiction polonais Stanislav Lem (1921-2006) en matière de futurologie offrent un point de vue modéré et tempéré sur la façon dont l’humanité peut imaginer l’avenir. La vidéo présentée ici est une entrevue fictive au cours de laquelle l’artiste pose à l’auteur des questions d’actualité, qu’il insère par montage dans une présentation télévisée faite par Lem en 1970. L’émission produite par Krakow Television porte sur la notion de futurologie ; ce n’est pas un dialogue entre un journaliste et un scientifique, car Lem aborde le sujet selon sa propre ligne de pensée.

Dans la vidéo de Várnai, les questions formulées et insérées par l’artiste réfèrent à des problématiques actuelles, créant ainsi un lien entre le passé et le futur : il en résulte que nos préoccupations actuelles trouvent des réponses en 1970. La séquence vidéo réalisée il y a 47 ans et les questions posées aujourd’hui plongent toutes les deux dans les préoccupations du XXIe siècle, mais sous des angles différents. Cette œuvre est un hommage à la pensée et au travail de Lem.

Gyula Várnai est né en 1956 à Kazincbarcika (Hongrie). Sa pratique artistique influente est associée à celle d’un groupe d’artistes néo-conceptuels hongrois qui se sont fait connaître dans les années 1990. Várnai est réputé pour ses installations à grande échelle, et sa pratique est largement nourrie par ses études en mathématiques et en physique.

Les œuvres de Várnai naviguent à la frontière de l’art et du quotidien, faisant appel à des matériaux ordinaires pour créer des assemblages saisissants. Son travail a été présenté dans le cadre de nombreuses expositions en Europe et aux États-Unis. Plus récemment, ses œuvres ont fait l’objet d’expositions solo ou collectives à Budapest, Paris, Istanbul, Cologne et Rome. Gyula Várnai vit et travaille à Dunaújváros, en Hongrie.

János Sugár

Document-Model

1997

Oeuvre web

Ordinateur, application web

En 1997, János Sugár fut invité à participer au volet net.art d’un ambitieux projet intitulé Night Watch. Il s’agissait d’une sorte de magazine culturel que l’on qualifierait aujourd’hui de « portail culturel ». Le projet n’ayant pu se poursuivre, faute de financement adéquat, il n’est plus aujourd’hui qu’un épisode plus ou moins oublié de l’histoire du web hongrois.

Afin de nous rappeler l’époque des débuts d’Internet, Document-Model a été partiellement restaurée pour être présentée dans le cadre de l’exposition The Dead Web – The End. Cette œuvre minimaliste se présente comme un « document » que nous devons activer et parcourir en suivant un certain nombre d’instructions qui apparaissent à l’écran.

Le processus commence avec un X et un Y, soit les signes les plus abstraits pour désigner des inconnues. Ici, X représente un point de départ aléatoire, et Y, un arbre de décision. En ouvrant des fenêtres pour accéder à la vidéo et au son, on active deux bases de données « sensibles » : l’une constituée de vidéos de circulation captées par des caméra de surveillance en circuit fermé, au mois d’octobre 1987 à Budapest, et l’autre de messages laissés sur le répondeur de l’artiste au milieu des années 1990.

De manière générale, l’œuvre joue sur la curiosité et le voyeurisme qui caractérisent la navigation sur le web. Pour suivre le déroulement narratif, quoique non linéaire, des deux types de documents, le visiteur doit soumettre des mots au hasard, et si une autre personne veut lire ces mots, elle doit soumettre des mots à son tour, lesquels peuvent ensuite être découverts en échange d’autres mots. Ce processus devient peu à peu une sorte de défi communicationnel : tout en choisissant des mots de manière arbitraire, on doit néanmoins tenir compte du fait qu’ils peuvent être lus par d’autres personnes.

János Sugár (né en 1958) a étudié au Département de sculpture de l’Académie hongroise des beaux-arts à Budapest. Durant ses études, de 1980 à 1986, il a participé activement aux expositions et aux performances du groupe interdisciplinaire Indigo, dirigé par l’artiste Miklós Erdély.

À partir des années 1980, Sugár a participé à de nombreuses expositions à l’échelle nationale et internationale, dont la 9e Documenta de Cassel en 1992, et la 1ère Manifesta à Rotterdam en 1996. Grâce à une bourse de l’organisme ArtsLink, il a effectué une résidence au Cleveland Institute of Art en 1994, et il a été invité comme artiste en résidence au centre Experimental Intermedia à New York, d’abord en 1997-98 pour une période de quatre mois, et en 1999 pour une période de trois mois. En 1998, ses films ont été présentés à l’Anthology Film Archives à New York.

Il enseigne au Département Intermedia de l’Université hongroise des beaux-arts depuis 1990. Il vit et travaille à Budapest.

Julie Tremble

BPM 37093

2014

Animation 3D (muet), 1 min. 14 s. (boucle) : écran plat

BPM 37093, de Julie Tremble, est une courte animation 3D qui « raconte » – fiction ou réalité, l’incertitude ici est volontaire – la mort d’une étoile et la lente transformation de sa matérialité : Comme le mentionne l’artiste, « BPM 37093 est une étoile qui était très similaire au soleil et qui est aujourd’hui morte. Des scientifiques ont découverts qu’en mourant, l’étoile s’est presque entièrement transformée en diamant, comme le fera le soleil dans des milliards d’années.

La vidéo est une représentation fantasmatique de ce phénomène scientifique, [et] la modélisation 3D, [un] outil privilégié par le documentaire et le cinéma pour traiter de phénomènes astronomiques. L’animation détourne cette technique perçue comme réaliste pour illustrer la manière dont notre compréhension de certains phénomènes naturels, dont la perception nous est inaccessible, repose sur des informations fragmentaires, des représentations et des associations hallucinées. »

Cette représentation de la mort d’une étoile, symboliquement porteuse de celle (éventuelle) de l’univers (et accessoirement d’Internet) est aussi la naissance d’autre chose : ici un diamant. La temporalité hautement accélérée de cette mort d’étoile – 1:14 pour des millions d’années – ajoute une résonance à l’ensemble du projet d’exposition qui, questionnant le web, questionne aussi les notions de durée et d’instantanéité, ainsi que nos représentations du monde comme autant d’images de synthèse dont nous sommes en droit de nous méfier.

Julie Tremble est une artiste de la vidéo et de l’animation. Nourrie entre autres par le cinéma, la littérature et la philosophie, elle se penche depuis quelques années sur la question de la représentation en astronomie. À travers ce corpus, elle s’intéresse à la construction et à la diffusion du savoir dans la société contemporaine et à la délicate articulation des concepts de science et de vérité.

Le travail de Julie Tremble est présenté dans des centres d’artistes, en galerie et dans différents festivals au Canada, en Europe et en Indonésie. Elle est récipiendaire d’une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) ainsi que du prix pour la meilleure œuvre d’art et d’expérimentation remis par ce dernier dans le cadre de la 31e édition des Rendez-vous du cinéma québécois.

Julien Boily

Memento Vastum

2012

Huile sur panneau marouflé, 122 x 152 cm (48″ x 60″)

Le tableau Memento Vastum de Julien Boily – une huile sur panneau marouflé – nous parle d’une mémoire perdue. Vastum (déchet en latin) renvoie à la notion de perte, à ce qui est laissé derrière au profit d’une certaine idée du progrès. Une tension tradition/progrès alimente cette idée de perte multiforme dans le travail de Boily. Perte de savoir-faire, pictural certainement, mais aussi de connaissances anciennes aussitôt remplacées par de nouvelles – souvent sous forme d’information ou même de données.

C’est une dynamique récursive qui s’accélère constamment : avec l’arrivée de la nouveauté, ce qui a précédé tend à être évacué. Cette notion de vestige croise ici celles d’obsolescence programmée et de vanité. Si au 17e siècle le miroir était un élément récurrent dans la composition des vanités – ces natures mortes évoquant le caractère éphémère de l’humanité – aujourd’hui nos dispositifs électroniques et outils informatiques pourraient remplir la même fonction. Parmi ces objets qui nous renvoient le reflet de nos désirs, de nos peurs et de notre vanité, Internet n’est-il pas comme un miroir sans tain ?

Memento Vastum fait partie de la Collection Canopée Médias.

Lajos Csontó 

Don’t Be Afraid

2007

Vidéo (en boucle)

9min. 6sec.

La vidéo Don’t Be Afraid est une réflexion sur l’histoire d’Ulysse et de Pénélope, présentée dans une version simplifiée de ce récit mythique. À la surface de l’image, un sac en tissu rugueux portant les slogans « There’s still time » (« Il est encore temps ») et « There’s not time left » (« Il ne reste plus de temps »). La vidéo comporte seulement deux images : l’une où le tissu du sac est en train de s’effilocher, l’autre où il est en train de se reconstituer.

On ne voit pas la main qui effectue l’action, ce qui donne l’impression que celle-ci se fait toute seule, comme le sablier qui, une fois retourné, obéit aux lois de la gravité. Bien qu’il soit un artiste contemporain, Lajos Csontó demeure fasciné par l’idée ancienne selon laquelle une image est animée par une force, un pouvoir mystique.

Son travail est truffé de moments présentant des référents ou des modes de représentation traditionnels, tout en s’affirmant en rupture avec ceux-ci par l’entremise d’un processus d’innovation simultané. Ainsi donc, ses œuvres portent l’empreinte des guillemets culturels qui accompagnent tout contenu métaphorique. Comme l’affirme l’artiste : « Ne cherchez pas la réponse ». Il suffit que la réalité telle qu’il la visualise provoque un sentiment d’incertitude chez le spectateur. Don’t Be Afraid propose une réflexion sur l’effet du temps sur notre rapport au monde, et sur notre capacité à donner du sens à ce phénomène.

Dotés d’un pouvoir limité face à un monde en constante mutation, nous sommes devenus les otages d’une époque sur laquelle nous avons perdu le contrôle et qui nous maintient dans un état de précarité, entre avoir ou ne pas avoir assez de temps. Au lieu de regarder le temps passer, ne devrions-nous pas plutôt nous demander combien de temps il reste avant la grande déconnexion ?

Après ses années de lycée, Lajos Csontó a étudié la joaillerie, puis il a obtenu un diplôme en arts graphiques de l’Académie hongroise des beaux-arts. Il a développé son style unique au milieu des années 1990. Ses œuvres photographiques (installations et vidéos), souvent constituées de documents personnels ou de photographies trouvées, comportent des éléments textuels énigmatiques et apparemment clichés, qui déroutent le spectateur.

Il crée des œuvres conceptuelles qui témoignent de la contradiction humaine, composées d’un mélange ironique d’éléments visuels et verbaux. Les œuvres vidéo qu’il crée depuis le milieu des années 2000 sont le prolongement de ses textes-images ; ce sont les cadeaux qui attendent d’être déballés au sein d’un journal visuel composé de récits condensés.

Lukas Truniger & Nicola L. Hein

Membranes

2017

Installation performative: peaux de tambour et composantes électroniques

Constituée d’instruments hybrides qui sont construits à partir de peaux de tambour et de composants électroniques, Membranes est une installation performative qui transforme du texte écrit en percussion lumineuse. Au fur et à mesure qu’émerge chaque traduction automatique, le réseau d’instruments commence à partager les textes, transformant ainsi les éléments écrits en motifs visuels et sonores.

S’appuyant sur l’exemple du « tambour parlant » (talking drum) d’Afrique de l’Ouest, Membranes crée un nouveau langage, évoluant et s’adaptant sans cesse. Les instruments forment un réseau réactif d’acteurs sémantiques et esthétiques : un jeu de forme, de lumière et de son se déploie entre eux. Suivant cet archétype d’instrument de communication musicale et avec l’intention de créer un espace d’interaction acoustique spéculatif, cette installation audiovisuelle ouvre un environnement de communication alternatif.

Dans sa forme installative, la pièce utilise des textes générés par un algorithme analysant une base de données de différents écrits théoriques sur la relation entre musique et langage. Un dialogue s’articule entre les différents objets-instruments autonomes, générant un réseau d’agents morts – d’algorithmes transformés – qui témoignent à la fois d’une forme de communication historiquement ancrée dans une tradition culturelle et d’un hypothétique langage d’un monde de l’après-web.
Péter Forgács

Lost Conclusions

2020

Installation vidéo

Matériaux mixtes

L’artiste est représenté par la galerie Ani Molnár, également partenaire pour la présentation de l’œuvre.
 
Lost Conclusions est une installation vidéo qui nous plonge dans une situation de catastrophe dystopique, dans un futur où Internet a disparu. Les spectateurs adoptent le point de vue du protagoniste, un homme qui semble vivre un épisode psychotique au cours duquel il est à la recherche d’une connexion perdue.
 
Tourné à la manière d’un selfie, comme s’il s’agissait d’un témoignage désespéré livré spontanément à un public anonyme, tel qu’on peut en trouver sur lnternet, le récit communique un sentiment d’urgence et d’anxiété. Par son discours échevelé et ses mouvements erratiques, le personnage nous emporte dans son tourbillon de malaise, lequel est amplifié par son regard aveugle, aussi aveugle que peut l’être notre monde face aux enjeux cruciaux qui concernent son avenir.
 
La question est la suivante : que deviendrions-nous si nous étions réellement privés de ces connexions auxquelles nous sommes habitués et que nous en sommes venus à considérer comme étant une manière « naturelle » d’exister dans le monde ?
 
De nos jours, s’imaginer en situation de déconnexion équivaut à anticiper un scénario de fin du monde, ou du moins du monde tel que nous le connaissons : un monde qui nous rattache à lui d’une manière inédite jusqu’à présent, et cela à tant de niveaux différents qu’il devient impossible de discerner les limites entre soi et les multiples strates de réalité intangibles qui nous entourent.
 
Les connexions sont devenues des prolongements de nous-mêmes : nous ne pouvons littéralement pas fonctionner adéquatement sans être reliés au réseau. Ce phénomène, qui au départ n’était qu’un moyen d’améliorer nos conditions de vie, est devenu une réalité à laquelle nous ne pouvons plus échapper sans craindre de perdre la raison, car perdre la connexion équivaudrait peut-être à perdre une partie de notre esprit.
Projet EVA (Etienne Grenier et Simon Laroche) 

L’Objet de l’Internet

2017

Installation cinétique : structure d’aluminium, panneaux d’acrylique, ordinateur, moteurs, microcontrôleurs et composantes électroniques, LEDs, système de son, lettrage vinyle pour la citation, banc

La désorganisation du monde par le capitalisme financier, délocalisé et volatile, a favorisé l’émergence d’Internet. Ce réseau est progressivement devenu la matrice à travers laquelle nos collectivités et nos individualités ont restructuré leurs échanges. La promesse d’un plus grand mouvement des idées, d’une liberté accrue, voire d’une nouvelle citoyenneté, se heurte finalement au pouvoir du capital et à la nature disloquée et entropique d’un tel agencement technologique.

L’Objet de l’Internet est une installation de Projet EVA (Etienne Grenier et Simon Laroche), évoquant l’idée d’un mausolée destiné à la fin du Web. Grâce à des procédés optiques et cinétiques intégré à un dispositif où le visiteur insère sa tête, le visage humain est décomposé en une multitudes de fragments. Les visiteurs sont projetés dans un futur dystopique où, sur les réseaux sociaux, ne demeureraient sous la forme d’une résonance que les traces de quelques égo-portraits encore artificiellement animés. Ces derniers, condamnés au statut de solipsismes stériles, s’agiteraient dans le vide sidéral de la fin d’Internet. 

En épitaphe du monument-mausolée : “I have seen many people spill their guts on–line, and I did so myself until, at last, I began to see that I had commodified myself.”
– Carmen Hermosillo, poète, blogueuse et pionnière de l’Internet social, 1994.
 
La création de L’Objet de l’Internet a été rendue possible grâce à l’appui financier du Conseil des arts et des lettres du Québec.
Romain & Simon de Diesbach

[I]

2017

Installation : écrans de téléphones

À la fois écran et miroir, écrin de l’identité de chacun, le téléphone portable est objet de mémoire et d’illusion. Portable et écran sont la marque de notre époque et sont marqués de nos empreintes. Leur omniprésence infiltre littéralement le moindre interstice de nos vies quotidiennes, rendant possible la capitalisation du temps libre. Ce faisant, ils nous lient à une forme d’instantanéité tout en nous éloignant de l’instant présent, nous tenant à la lisière entre l’univers virtuel et matériel. 

Le portable est l’objet d’une attention quasi constante : nous le protégeons, lui parlons, l’autorisons à se souvenir des moments de nos vies et à informer des tiers de nos moindres déplacements, si bien que son absence provoque une sensation d’incomplétude. Paradoxalement, en proie à l’obsolescence, il devient très vite remplaçable : son statut d’objet précieux et essentiel bascule rapidement vers celui de déchet, d’artéfact technologique dysfonctionnel, couvert d’un film graisseux témoignant d’une manipulation compulsive.

Ces vitres – éclatées en étoile, enlisées dans du béton, telles les traces fossiles d’un temps passé – nous ramènent à notre conditionnement face aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). Redevenant simples miroirs physiques, elles nous rappellent également la fin éventuelle de notre identité numérique.

Roman Ondak

Extended Sleep

1996

Installation

Livres dans le formalin, métal, verre et feuilles de MDF

Avec ses livres plongés dans le formol, conservés dans des réservoirs hermétiquement fermés et placés sur des étagères, l’installation Extended Sleep de Roman Ondak se présente comme un étalage de connaissances inaccessible, ou du moins en attente d’être ranimées.

Cette matière littéraire qui va de Stevenson à Baudelaire en passant par Dostoïevski, Kafka, Brecht, Pessoa ou Borges, est réduite à l’état muet de mémoire dormante, un peu comme la mémoire stockée sur les disques durs qui remplissent les étagères des centres de données.

Dépourvue de toute référence technologique et ne faisant appel à aucun processus ou contenu numériques, l’installation semble néanmoins faire écho à ce qui arriverait s’il se produisait un bouleversement historique tel qu’une coupure de l’accès à l’information ; un phénomène qui mettrait fin à notre liberté d’apprendre et de réfléchir à partir de notre connaissance du monde, que ce soit dans sa dimension littéraire ou dans une autre.

De nos jours, il ne fait aucun doute qu’une déconnexion totale du réseau serait néfaste pour l’accès au savoir ; bien que ce même réseau nuise déjà aux apprentissages en entremêlant et en présentant des contenus éclectiques comme s’ils étaient d’égale importance, d’où le « nivellement » à la fois idéologique et visuel/matériel qui se produit dans le monde numérique. Si Extended Sleep suggère la nécessité de préserver certains savoirs, ne devrions-nous pas nous interroger sur notre capacité à gérer les données dormantes qui nous échappent de plus en plus?

Roman Ondak (né en 1966) a étudié la peinture à l’Académie des beaux-arts de Bratislava de 1988 à 1994. Il a également étudié à Slippery Rock University en Pennsylvanie (1993), au Collegium Helveticum à Zurich (1999-2000) et au CCA à Kitakyushu (2004). Il a reçu des bourses du DAAD à Berlin (2007-2008) et de la Villa Arson à Nice (2010).

Il a présenté de nombreuses expositions solo : Roman Ondak: Storyboard, Guangdong Times Museum, Guangzhou, Chine (2015) ; Roman Ondak, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Palacio de Cristal, Madrid, Espagne (2013) ; Roman Ondak: Some Thing, The Common Guild, Glasgow, Royaume-Uni (2013) ; do not walk outside this area, Deutsche Guggenheim, Berlin, Allemagne (2012) ; Roman Ondak, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Paris France (2012) ; Enter the Orbit, Kunsthaus Zürich, Zurich, Suisse (2011) ; Time Capsule, Modern Art Oxford, Oxford, Royaume-Uni (2011) ; Before Waiting Becomes Part of Your Life, Salzburger Kunstverein, Salzbourg, Allemagne (2011) ; Loop, Pavillon des Républiques tchèque et slovaque, 53e Biennale de Venise, Venise, Italie (2009) ; Measuring the Universe, The Museum of Modern Art, New York, États-Unis (2009) ; Path, CCA Wattis Institute, San Francisco, États-Unis (2008).

L’artiste a aussi participé à de nombreuses expositions collectives dans divers musées tels que : Tate Modern, Londres, Royaume-Uni (2016, 2006) ; Museo de Arte Latino Americano de Buenos Aires, Argentine (2015) ; Museum of Contemporary Art Detroit, Detroit, États-Unis (2013) ; Kunsthalle Nürnberg, Allemagne (2012) ; MoMA PS1, New York, États-Unis (2011) ; Musée Stedelijk, Amsterdam, Pays-Bas (2010, 2005) ; ICA, Boston, États-Unis (2008) ; Frankfurter Kunstverein, Francfort, Allemagne (2005). Ondak a été invité aux biennales d’art suivantes : 54e et 50e Biennales de Venise, Venise, Italie (2011 et 2003) ; 5e Biennale de Moscou, Moscou, Russie (2013) ; 5e Biennale de Liverpool, Liverpool, Royaume-Uni (2008) ; 8e Biennale d’art de Panama, Panama, Panama (2008) ; 27e Biennale de São Paulo, São Paulo, Brésil (2006) ; Biennale de Prague, Prague, République tchèque (2003).

Roman Ondak vit et travaille actuellement à Bratislava, en Slovaquie.

Société Réaliste

The Fountainhead

2010

vidéo digital sur DVD, noir et blanc, muet, edition 1/5 (+2AP), 111 min.

Le long-métrage The Fountainhead (2010) réalisé par Société Réaliste est basé sur le film de propagande capitaliste éponyme, dont le scénario fut écrit en 1949 par Ayn Rand, grande prêtresse du libertarisme américain et auteure de textes influents en lien avec cette idéologie. La version originale du film (réalisée par King Vidor et mettant en vedette Gary Cooper et Patricia Neal dans les rôles principaux) raconte l’histoire d’un architecte moderniste à la volonté prométhéenne (personnage inspiré du célèbre Frank Lloyd Wright), qui met à profit son génie personnel pour lutter contre la décadence ambiante. Le film fait écho au propagandisme des films nazis ou soviétiques d’avant-guerre. Le scénario tourne autour de la ville de New York, considérée comme une parfaite incarnation du capitalisme.

Quelques années plus tard, Rand exprima son adhésion inconditionnelle à l’idéologie capitaliste par l’entremise de sa théorie « objectiviste », un concept résolument militant et mondialiste qui fut repris par de nombreux adeptes de sa pensée, tels Ronald Reagan et Alan Greenspan.

Afin d’effacer l’intrigue du film, les artistes de Société Réaliste ont supprimé le son et toute présence humaine de la version originale pour créer leur propre Fountainhead, réduisant ainsi le film à son décor, c’est-à-dire à son architecture idéologiquement chargée. C’est l’atmosphère du film qui devient essentielle, ce portrait fantasmé de la ville de New York, ce discours visuel portant sur l’architecture d’un monde fermé sur lui-même, la tour de verre des géants du capitalisme.

En nous rappelant pourquoi le monde occidental est devenu ce qu’il est, et sur quelles bases il s’est édifié, le film met en lumière les signes extérieurs de phénomènes qui sont toujours à l’œuvre dans l’économie politique de notre ère technologique : des infrastructures puissantes, des environnements trompeurs et des interventions manipulatrices. Si seulement nous pouvions regarder au-delà des écrans de fumée qui nous entourent !

Tamás Komoróczky

A History of the World in 100 Objects – the New Ozymandias

2016

Vidéo, 14 min.

La vidéo A History of the World in 100 Objects – the New Ozymandias a été inspirée à l’artiste par le poème « Ozymandias » de Shelley, qui offre une réflexion plutôt sereine sur l’inévitabilité de la mort (amor fati).

Komoróczky a eu la vision d’une planète où il n’y aurait plus de vie humaine ou animale, ni même végétale. Puis il y a disposé cent objets choisis de manière aléatoire, lesquels apparaissent comme des fantômes dans cet univers glauque : il n’y a plus personne ici pour les utiliser ni même les regarder, et chacun d’eux est coincé dans sa propre boucle. Le seul espoir, la seule échappatoire à ce système fermé est la comète bleue qui balaie le ciel. À cette seule exception, le monde entier est en noir et blanc.

Dans un monde où tout a disparu et où ne subsistent que quelques référents visuels décontextualisés — nourriture, matières organiques, œuvres d’art, outils technologiques ou autres « choses » diverses — ces objets sont devenus les artefacts d’une existence déconnectée, momifiés sous forme d’objets en 3D, ou transformés en données. Placée dans un désert numérique, dans un espace qui se situe en dehors du monde tel que nous le connaissons, cette « collection » d’objets est en quelque sorte préservée de la perte et de la destruction.

Dans un monde où ne s’exerce plus aucune forme d’intervention ou de présence — vivante ou inanimée, humaine ou algorithmique — nous nous retrouvons avec les traces dévitalisées d’un monde qui n’existe plus, un monde abandonné au vide, où ne se dessine plus aucune forme de volonté ni de direction. Naviguer dans cette contrée ne nous donne-t-il pas un aperçu de ce que serait le territoire du web après la mort de celui-ci ?

Various artists

PocketTv

1999

Projet basé sur le web

Selon les rumeurs de l’industrie, il semble que les actes de piratage étaient déjà une source d’inquiétude à l’époque où fut implantée la norme VHS, et c’est pourquoi la résolution de l’image fut calibrée de manière à permettre un minimum de visibilité, car celle-ci se dégradait davantage à chaque copie en raison de la résolution de l’image originale.

Dans les années 90, en raison d’une bande passante extrêmement faible, il était difficile d’effectuer le streaming d’une vidéo sur Internet. La première solution largement adoptée fut le RealVideo, où la surface d’écran disponible était plus petite, mais qui permettait de télécharger des données gratuitement. Le projet PocketTv est né à l’époque où les pages d’accueil du World Wide Web contenaient surtout des textes et des GIF animés.

Les artistes ayant participé au projet ont dû faire face à une double contrainte : une surface d’écran de la taille d’une boîte d’allumettes, et la possibilité de rejoindre un public à l’échelle planétaire. C’est ainsi qu’ont été créées ces dix histoires courtes oscillant entre le public et le privé, le personnel et l’impersonnel, l’ancien et le nouveau, le grand et le petit, et qui mettent à profit tous les avantages et les inconvénients de la transmission vidéo : l’écran ayant désormais la taille d’une main, l’œuvre est axée sur le personnel plutôt que sur la nouveauté, elle fait appel à des matériaux accessibles plutôt qu’à des processus complexes.

Voilà de la vraie télé de poche, celle qui va à son propre rythme.

– Balázs Beöthy

 
Eike : Tuning (2 min 10 sec)
Un individu prend différentes poses et finit par disparaître dans le fond bleu de l’écran. Ses mouvements évoquent ceux d’une sculpture vivante ou la gestuelle des arts martiaux.
 
Gábor Gerhes : Dance on the Desktop (2 min 9 sec)
La caméra fait face à un moniteur vidéo, créant une illusion d’infinie profondeur. À mi-chemin entre l’analogique et le numérique, l’œuvre renvoie à la première vidéo qui fut réalisée en Hongrie, à partir d’un mélange de vidéo et de film.
 
Tamás Komoróczky : To the Heaven str. 7. / There is milk today (3 min 3 sec)
Clip mettant en scène quatre musiciens amateurs jouant sur un fond qui devient de plus en plus blanc. Le titre fait référence à un groupe de rock alternatif hongrois très actif à l’époque.
 
Kriszta Nagy : The real medicine (3 min 32 sec)
Question délicate : le vrai médicament se trouve-t-il parmi ces pilules ?
 
Hajnal Németh : Milkbrother (2 min 19 sec)
Clip énigmatique et doux sur la thème de l’inséparabilité.
 
Zsuzsanna Rebeka Pál : Test ride (1 min 40 sec )
Animation sur un extrait de la bande-son du film À bout de souffle.
 
János Sugár : Big yes, big no (2 min 25 sec)
Détail d’une performance présentée à la galerie Stephen Gang, à New York.
 
Péter Szarka : Kung-fu is better than karate (1 min 12 sec)
Kung-fu et karaté, cactus et miroir.
 
Gyula Várnai : Turbulence (2 min 25 sec)
Exercices d’aérodynamique avec modèles réduits et soufflerie improvisée. L’œuvre est réalisée avec des éléments réels et non pas animés.
 
Tibor Várnagy: My name (2 min 27 sec)
La protagoniste de cette animation est une tablette de chocolat créée en 1941 et
popularisée comme n’étant « pas seulement la préférée des mères ».
Balázs Beöthy (1965, Budapest)
Artiste visuel, commissaire d’exposition, chercheur. Vit et travaille à Budapest.
 
Eike (1966, La Haye/Saale)
Artiste visuel, commissaire d’exposition. Vit et travaille près de Munich depuis 2013.
 
Gábor Gerhes (1962, Budapest)
Artiste visuel, graphiste, photographe. Vit et travaille à Budapest.
 
Tamás Komoróczky (1963, Békéscsaba)
Artiste visuel. Vit et travaille à Budapest.
 
Kriszta Nagy (1972, Szolnok)
Peintre, chanteuse. Vit et travaille à Szentendre.
 
Hajnal Németh (1972, Szőny)
Artiste visuelle. Vit et travaille à Berlin.
 
Zsuzsanna Rebeka Pál (1971, Budapest)
Artiste médiatique, directrice artistique. Vit et travaille à Budapest.
 
János Sugár (1958, Budapest)
Artiste visuel. Vit et travaille à Budapest.
 
Péter Szarka (1964, Kőszeg)
Artiste visuel. Vit et travaille à Budapest.
 
Gyula Várnai (1956, Kazincbarcika)
Artiste visuel. Vit et travaille à Dunaújváros.
 
Tibor Várnagy (1957, Budapest)
Artiste visuel, commissaire d’exposition, critique d’art. Vit et travaille à Budapest.
Zoltán Szegedy-Maszák

Visual Communication – Homage to Jonathan Swift

2018-2019

Installation interactive de réalité augmentée

Dimensions variables

Visual Communication – Homage to Jonathan Swift est une installation interactive où les visiteurs sont invités à s’installer à une table et à expérimenter, à l’aide de cartes, une forme de communication à sens unique où le concret et le virtuel se rencontrent dans un espace perceptuel indéfini.

Au milieu du XVIIe siècle, l’éducateur Comenius, expliquant le rôle des images dans son Orbis Pictus, a proposé l’idée que la méthode d’apprentissage la plus sûre et la plus appropriée serait de montrer les choses elles-mêmes, ou à tout le moins leur image, pour favoriser une meilleure compréhension des mots et de leurs significations.

Jonathan Swift s’est montré plus radical dans Les voyages de Gulliver. Alors qu’ils sont à la recherche d’une langue universelle, les professeurs de l’institut linguistique de Laputa suggèrent qu’au lieu d’utiliser la langue ou la parole, la manière la plus pratique de communiquer serait de transporter sur soi les objets eux-mêmes.

Les objets dont il est question ici se situent entre deux mondes. Parce qu’ils sont en 3D, ils évoquent un propriété physique à laquelle nous pouvons nous identifier, voire nous accrocher, mais ils appartiennent également au domaine virtuel et hasardeux du simulacre.

Prisonniers du spectacle, les visiteurs se retrouvent face à un système déficient, qui les maintient dans une boucle de communication illusoire. Parce qu’elle se présente comme une sorte d’impasse du web où l’on se retrouve devant un miroir étrange et inquiétant, l’œuvre évoque le besoin de connectivité que nous ressentons tous.