Rechercher
Close this search box.

FILE - Festival Internacional de Linguagem Eletrônica

Festival FILE
São Paulo, Brésil

Du 16 juillet au 19 août 2012

L’objet mouvementé

La participation de Molior à FILE 2012 a fait connaître au public brésilien quatre installations remarquables d’artistes québécois qui utilisent les technologies du mouvement. Les œuvres de Ying Gao (associées à l’univers de la mode), de Jean-Pierre Gauthier (entre arts visuels et création sonore) et de Nicolas Reeves (proches de l’architecture et du design) qui ont fait partie de FILE 2012 offrent un riche aperçu de l’étendue des pratiques actuelles dans le domaine de l’art cinétique et robotique au Québec.

Cette sélection s’inscrit dans un contexte qui s’est révélé favorable au développement de telles pratiques, en raison de l’influence qu’ont pu avoir certains artistes québécois renommés et de la formation solide offerte par les universités québécoises dans cet axe de recherche et de création. C’est ainsi que des créateurs tels que Bill Vorn, Louis-Philippe Demers ou Istvan Kantor, pour ne nommer que ceux-là, se sont illustrés sur la scène internationale avec des projets robotiques percutants au fil des ans. Ces artistes ont laissé un héritage stimulant pour plusieurs et mis de l’avant des pistes de réflexion sur les rapports (de force) entre l’homme et la machine. Ils ont également su explorer des dimensions psychologiques et des éléments de scénographie dans leurs installations et leurs performances qui ont eu beaucoup de retentissement dans le milieu de l’art.

À l’heure actuelle, toutefois, on constate que les pratiques dans ce domaine tendent à se démarquer de l’esthétique du robot et de l’anthropomorphisme typiques des projets pionniers de l’art robotique. Les artistes entretiennent des rapports multidimensionnels avec l’univers machinique, le recours aux technologies du mouvement servant à explorer de nombreuses facettes de l’expérience humaine et du monde environnant. Du côté des technologies employées pour produire le mouvement, ils se tournent tout aussi bien vers l’informatique que vers des moyens plus traditionnels (low tech), selon les projets.

Opter pour le mouvement, quelle que soit l’origine technologique, introduit de nouveaux comportements dans le monde matériel et laisse entrevoir des effets de sens inédits. Le passage de la fixité à la mobilité entraîne sans aucun doute une refonte majeure de l’objet et de notre compréhension de celui-ci. Essentiellement, le mouvement insuffle la vie aux choses inertes et remet ainsi en cause leur identité de manière fondamentale. En se mouvant, ces objets d’ordinaire immobiles se rapprochent désormais des organismes vivants. Les œuvres réunies pour FILE expriment certainement, chacune à leur façon, une telle affinité avec le vivant.

Lorsqu’ils se dilatent lentement en réaction à une source lumineuse contrôlée par les visiteurs, les deux vêtements interactifs de Living Pod conçus par Ying Gao paraissent respirer. Leurs composantes internes se gonflent délicatement comme une cage thoracique qui se soulève. La vie semble avoir été transmise aux manteaux par les individus qui les auraient autrefois portés ou fabriqués, la lumière projetée sur eux paraissant réveiller ce lien au vivant, comme par photosynthèse.

Une tout autre qualité organique caractérise Stressato : Les serpents samouraïs de Jean-Pierre Gauthier. L’agitation nerveuse des câbles entortillés sur la table noire à l’approche des visiteurs ressemble plutôt à un mécanisme de défense en réponse à une menace, comparable à celui de l’animal se sentant traqué. Quant à Sweeping Spirals, du même artiste, les mouvements désorganisés et maladroits des balais l’assimilent à une marionnette incontrôlable qui aurait été laissée à elle-même par un maître absent, créature indécise et inefficace devant le travail qui lui a été confié.

Le cube volant de Sommeil paradoxal, de NXI GESTATIO (Nicolas Reeves, David St-Onge et Ghislaine Doté), se déplace lentement et, comme les engins volants imaginés à travers les siècles, s’inspire du monde naturel. Il évoque les animaux en vol stationnaire ou ceux qui se déplacent par écholocation. L’association avec un organisme vivant est renforcée par ses réactions – face au public avec lequel il négocie l’espace ou en réponse à des commandes vocales dans les contextes de performance.

Dans ces quatre installations, la présence d’objets familiers se fait sentir. Que ce soient les manteaux de Gao, la table et les balais de Gauthier ou le cube de Reeves, ils établissent une connexion immédiate avec l’environnement façonné par l’homme. Comme ces objets côtoyés dans la vie quotidienne, ils prolongent la présence humaine dans l’espace. Que nous disent ces objets courants, lorsqu’ils se mettent à bouger de manière improbable?

Parmi les objets présentés dans ces œuvres, les manteaux de Living Pod sont sans doute ceux qui sont le plus liés à l’espace intime. Le vêtement est déposé sur la peau, il la recouvre et l’enveloppe. Nul doute qu’il constitue une extension tout comme une expression de soi. Détaché de l’individu qui le porte, il reste encore investi par sa personne. Réanimés par le spectateur, ces manteaux paraissent réclamer une vie à eux, hors de l’attache corporelle.

Avec les balais dysfonctionnels et la table à dessin agitée, les projets de Jean-Pierre Gauthier interpellent, quant à eux, un espace personnel et domestique. Les gestes usuels qui accompagnent l’entretien ménager ou le dessin nécessitent d’ordinaire une certaine application. Or, ces objets agissent de façon désordonnée et imprévisible, suivant leur propre logique. Par leur conduite débridée, ils affirment une identité propre.

Le cube volant de NXI GESTATIO est sans doute un objet de nature plus conceptuelle que les autres. Avant tout forme géométrique, on l’associe également au domaine de l’architecture dont il est un élément de base. Il appartient aussi bien à l’espace mental qu’à celui du monde bâti, espace tant intérieur qu’extérieur, à la fois privé et public. En se déplaçant au-dessus du sol dans un état qui oscille entre la lévitation sur place et la mobilité, comme suspendu dans un rêve, le cube se libère de la gravité.

Ces objets familiers, faisant partie de nos espaces intime, personnel et mental, sont déjà des créations humaines; le mouvement qui leur est attribué magnifie cette part humaine en les associant au vivant. Le mouvement leur permet aussi d’adopter des comportements qui les engagent dans des actes de nature scénographique. Ils deviennent ainsi des personnages qui, tout en s’appuyant sur leur familiarité première, la réinventent pour apporter des données nouvelles à l’expérience du spectateur. Leurs comportements inattendus cherchent, dans chaque cas, une forme d’affranchissement des codes et une volonté d’autonomie. En accomplissant des gestes imprévisibles et insolites, ils défient les attentes et invitent à revoir le connu sous un jour nouveau. Personnages, ils incarnent une certaine part de nous-mêmes et nous renvoient une image révisée de notre rapport au monde.

Sylvie Parent

Sylvie Parent

Sylvie Parent est commissaire indépendante et critique d’art. Elle est impliquée dans le milieu des arts visuels et numériques depuis plus de 30 ans, aussi bien au Québec qu’à l’étranger. Ses expositions ont été présentées au Canada, aux États-Unis, en Italie, au Brésil, en Chine et à Taiwan.

De 2009 à 2014, elle a assuré la direction artistique de Molior, un organisme de diffusion d’expositions sur la scène internationale. Dans le domaine de l’édition, Sylvie Parent a agi comme rédactrice de magazines tels que HorizonZéro (2003-2005) et le Magazine du CIAC (1997-2000), et a contribué à plusieurs revues spécialisées (Parachute, Ciel variable, Espace art actuel, etc.).

Elle est également l’auteure de nombreux essais pour des catalogues d’exposition. Sylvie Parent est récipiendaire du prix Joan-Lowndes (2017) attribué par le Conseil des arts du Canada à un critique ou conservateur d’art indépendant en reconnaissance de la qualité exceptionnelle de son travail.

Artistes et œuvres

Jean-Pierre Gauthier
Sweeping Spirals

2008-2011

Installation cinétique

Manches à balai, ficelles, moteurs, détecteurs de mouvements.

Sweeping Spirals fait partie d’une série d’installations suspendues aux formes géométriques (Instants angulaires) qui se disloquent et se reconstruisent de façon imprévisible. L’œuvre est aussi à relier à un ensemble de travaux de l’artiste sur l’entretien ménager (Remue-ménage et La pause-café du concierge, par exemple). Dans Sweeping Spirals, deux balais situés aux extrémités d’un ensemble de tiges reliées entre elles adoptent la forme d’une longue spirale. Or, chacun des segments de cette spirale semble en faire à sa tête et la forme parfaite ne se rétablit que rarement. En effet, des moteurs tirent sur des ficelles attachées aux jointures entre les segments et les manipulent comme une grande marionnette en créant des mouvements chaotiques. De plus, les balais frottent le sol de temps à autre, en poussant les menus débris qui s’y trouvent, sans vraiment les ramasser. À la fois tragique et comique, cette spirale qui se défait sans cesse et n’arrive pas à effectuer le travail convenablement, semble se livrer à une danse maladroite et trouve un complice dans le spectateur. Engagée dans une activité à la fois obsessive et inefficace, qui se voudrait utile mais échoue lamentablement, elle fonctionne tout de même, selon sa propre logique.

Remerciements à la galerie Jack Shainman, NY

Jean-Pierre Gauthier poursuit une démarche hybride intégrant les arts visuels et la conception musicale autour d’installations cinétiques ou sonores, d’instruments de musique inventés ou automatisés.

Ses œuvres ont été montrées à travers le Canada, en Europe et en Asie. Une rétrospective de son travail a été présentée au Musée d’art contemporain de Montréal en 2007, puis mise en circulation en Amérique du Nord jusqu’en 2010. Molior a présenté plusieurs de ses œuvres à São Paulo au Brésil, notamment lors du FILE – Festival Internacional de Linguagem Eletrônica en 2012 et dans le cadre de Despertar / Éveil / Alive en 2014.

En 2004, Jean-Pierre Gauthier remporte le prix Sobey pour les arts; l’année suivante, le Conseil des arts du Canada lui remet le Prix Victor-Martyn-Lynch-Staunton. En 2012, la Ville de Montréal lui accorde le Prix Louis-Comtois. Il est représenté par Ellephant à Montréal et à Toronto.

Le Musée national des beaux-arts du Québec, le Musée d’art contemporain de Montréal, le Musée des beaux-arts de Montréal et la Art Gallery of Nova Scotia comptent de ses œuvres dans leurs collections. En 2016, comme suite à l’acquisition d’Orchestre à géométrie variable (2013-2014), le Musée d’art contemporain de Montréal l’expose et en documente l’installation afin d’en assurer la conservation.

www.gauthier-jp.com

Jean-Pierre Gauthier
Stressato : Les serpents samouraïs

2010

Installation cinétique

Moteurs pas à pas, câbles métalliques, contreplaqué, silicone, détecteurs à infrarouges et à ultrasons, microcontrôleurs.

Stressato : Les serpents samouraïs s’apparente aux machines à dessins créées par Jean-Pierre Gauthier (comme les Marqueurs d’incertitude). À l’instar de plusieurs des travaux de l’artiste, l’œuvre mise sur la qualité graphique, le trait dans l’espace. Sur un grand panneau recouvert de « peinture gestuelle » (pouvant rappeler les surfaces texturées et sombres de Borduas, Soulages ou Kline) qui ressemble à une table (à dessin ?), des câbles s’agitent dans toutes les directions à l’approche du spectateur, se tordant et s’entremêlant de manière inattendue comme s’ils réagissaient vivement à une menace. En remuant de la sorte, ces lignes argentées sur fond noir changent continuellement la composition du « tableau » et en font une image animée. Leurs mouvements désorganisés produisent par ailleurs une expérience sonore chaque fois différente, comme une improvisation musicale.

Programmation C++ : Jason Cook

Jean-Pierre Gauthier poursuit une démarche hybride intégrant les arts visuels et la conception musicale autour d’installations cinétiques ou sonores, d’instruments de musique inventés ou automatisés.

Ses œuvres ont été montrées à travers le Canada, en Europe et en Asie. Une rétrospective de son travail a été présentée au Musée d’art contemporain de Montréal en 2007, puis mise en circulation en Amérique du Nord jusqu’en 2010. Molior a présenté plusieurs de ses œuvres à São Paulo au Brésil, notamment lors du FILE – Festival Internacional de Linguagem Eletrônica en 2012 et dans le cadre de Despertar / Éveil / Alive en 2014.

En 2004, Jean-Pierre Gauthier remporte le prix Sobey pour les arts; l’année suivante, le Conseil des arts du Canada lui remet le Prix Victor-Martyn-Lynch-Staunton. En 2012, la Ville de Montréal lui accorde le Prix Louis-Comtois. Il est représenté par Ellephant à Montréal et à Toronto.

Le Musée national des beaux-arts du Québec, le Musée d’art contemporain de Montréal, le Musée des beaux-arts de Montréal et la Art Gallery of Nova Scotia comptent de ses œuvres dans leurs collections. En 2016, comme suite à l’acquisition d’Orchestre à géométrie variable (2013-2014), le Musée d’art contemporain de Montréal l’expose et en documente l’installation afin d’en assurer la conservation.

www.gauthier-jp.com

NXI Gestatio (Nicolas Reeves, David St-Onge)
Sommeil paradoxal

2011

Installation et performance aérobotique

Enceinte de polyuréthane, structure composite, turbines carénées, ordinateur embarqué, diodes électroluminescentes, tubes de polycarbonate, rubans conducteurs, senseurs interactifs.

Le projet Sommeil paradoxal fait partie d’une série d’œuvres élaborées avec de grands cubes robotisés de 2,25 m3, structures flottantes servant de plateformes pour différents projets multimédias ou performances. Dans le contexte de FILE 2012, l’équipe de NXI GESTATIO présentera un seul cube qui circulera dans les espaces d’exposition du festival. Le cube réajuste continuellement sa position en mesurant la distance avec les parois qui l’entourent. Ses mouvements parfois hésitants lui confèrent une qualité organique. À intervalles réguliers, le cube répondra à des commandes vocales d’une artiste de la performance (Ghislaine Doté) et adoptera des comportements particuliers. Une relation s’établira entre la performeuse et lui pour former une chorégraphie hybride. En dehors des moments dédiés aux performances, ce sera au tour des spectateurs de négocier l’espace avec le cube flottant.

Ingénieur voix: François Séverin

Performance: Ghislaine Doté

Nicolas Reeves

Nicolas Reeves a étudié à l’Université de Montréal (architecture et physique) ainsi qu’au Massachusetts Institute of Technology (architecture). En 1995, il a fondé le laboratoire NXI GESTATIO, consacré à la recherche-création en arts, architecture, design et informatique. Il a dirigé l’axe de recherche sur la Vie artificielle et les Arts robotiques de l’Institut Hexagram de recherche-création en arts et technologies médiatiques avant de devenir le directeur scientifique du même institut (2001-2008). Il a été vice-président de la Société des arts technologiques de 1998 à 2007. Sa double formation (physique, Université de Montréal, 1985 ; architecture, MIT, 1988) lui permet de combiner la pratique de l’architecture, de l’art et du design, l’usage extensif de données bioclimatiques, et la science informatique. Il a travaillé au studio Philippe Madec (Paris) et pour l’architecte Jacques Rousseau (Montréal) avant d’être admis avec distinction à l’Ordre des architectes du Québec. Il poursuit son approche artistique qui remet en question les fondements des notions d’ordre, d’information et d’organisation en relation au temps.

David St-Onge

Ingénieur spécialisé en structures (École Polytechnique) et en robotique (maîtrise à l’Université Laval), David St-Onge a complété sa formation en vue de développer les technologies requises par les artistes. Ayant d’abord œuvré dans les décors (théâtre, musée et télévision), il travaille maintenant dans le domaine des arts médiatiques, entre autres au sein du centre interuniversitaire de recherche en art médiatique HexagramCIAM. Il collabore avec Nicolas Reeves depuis 2009.

Ghislaine Doté

Originaire de la République Centrafricaine, Ghislaine Doté est à la fois interprète, chorégraphe et compositrice. Éclectique, elle travaille en tant qu’interprète au sein des compagnies Vam Grimde Corps Secret, Flak, l’Opéra de Montréal avec Starmania (Plamondon/Berger). Parallèlement, Ghislaine s’établit solidement comme chorégraphe de la relève, avec quatre oeuvres chorégraphiques et musicales à son actif. Elle est directrice artistique de Virtuo Danse.

Ying Gao
Living Pod

2009

Deux manteaux interactifs

Cuir, super organza et composants électroniques.

Le projet Living Pod consiste en deux manteaux disposés sur des mannequins de couture. Les deux vêtements forment un couple, l’un étant la copie plus « expressive » de l’autre. En effet, lorsqu’un spectateur dirige la lumière sur le premier vêtement, celui-ci s’anime lentement, puis le deuxième imite ces transformations en les accentuant. Ainsi, tandis que le premier manteau s’ouvre à peine, laissant entrevoir une délicate étoffe qui cherche doucement à se montrer par une mince ouverture, le deuxième dévoile un intérieur formé de plusieurs composantes textiles qui se gonflent et se déploient comme des fleurs ouvrant leurs pétales. Alors que les fines couches d’organza et de cuir se déplient et prennent de l’expansion, les vêtements semblent respirer. Ces manteaux sont comme des personnages et le spectateur devient en partie responsable de leur attitude. Le projet invite à réfléchir sur certains comportements humains dans des situations de communication.

Concepteur en robotique : Simon Laroche

Designer de mode et professeure à l’Université du Québec à Montréal, lauréate de la bourse Phyllis-Lambert Design Montréal, Ying Gao remet en question la notion de vêtement en alliant design urbain, architecture et multimédia. Elle s’inspire de la transformation de l’environnement social et urbain pour explorer la construction du vêtement. Grâce à ses créations exposées dans des musées et galeries à travers le monde, elle est la seule designer de mode à figurer dans le Top 40 canadien du magazine britannique Wallpaper. Pour Ying Gao, le design est le média, mais dans le sens plus technologique que textile du terme, une technologie sensorielle qui donne au vêtement une valeur ludique et participative. Ying Gao interroge à la fois le statut de l’individu, dont les contours physiques sont transformés par les interférences extérieures, et la fonction du vêtement comme espace fragile de protection. Ainsi, témoin de l’univers en profonde mutation dans lequel nous vivons, son travail est porteur d’une dimension critique radicale qui dépasse l’expérimentation technologique.