D’HABITUDE

Elisabeth Efua G. Sutherland

Nous avons tous – ceux d’entre nous qui ont survécu – eu une pause, une occasion de réfléchir à nous, à notre mode de vie, à notre travail, à nos valeurs, etc. Pendant ce temps de calamité, alors que les vols étaient cloués au sol et les frontières fermées, nous nous sommes vu offrir un cadeau temporaire – un rappel à tous, une prise de conscience d’un fait qui nous échappe : nous sommes tous et toutes à la portée les un.e.s des autres, autant physiquement que virtuellement.

Des collaborations qui n’auraient jamais été envisageables (pour une artiste du Ghana comme moi) sont soudainement devenues possibles. Une quantité incroyable de ressources est désormais accessible en ligne, qu’il s’agisse d’artistes et d’institutions, de subventions, d’ateliers, de conférences – les considérations budgétaires, la paperasserie et la suffisance générale ont été mises de côté pour faciliter le contact d’humain à humain en cette période de grand bouleversement, pour répondre à la « nouvelle normalité ». Propulsées dans l’espace numérique, de nombreuses équipes ont exploré des territoires inconnus et le continuum espace-temps, soulevant des questions relatives à la collaboration, à la représentation, à l’intentionnalité (et aux intentions), au respect, à l’ambition, à la création de relations organiques et à la mise sur pied de structures (ou non).

Diverses hypothèses ont été formulées à propos de l’Internet, de l’accessibilité, de la langue, de l’infrastructure, de la politique, des libertés, des compétences, de la formation, de la technologie, des structures juridiques, du parrainage fiscal et autres. Pour que les choses fonctionnent, il faut plus qu’un simple soutien aux frais de projets dans certains contextes. Il faut investir dans d’autres scènes artistiques pour que les collaborations soient viables et qu’elles perdurent – des mois, des années, des décennies. Heureusement, il existe bien des cas où des personnes et des institutions mettent de l’avant des mesures adaptées, posent les bonnes questions et se tournent vers de nouveaux modèles.

Maintenant que la pause semble toucher à sa fin et que les confinements se lèvent (puis sont rétablis et levés à nouveau), nous retombons dans nos habitudes, nos façons de faire. La perte, la maladie et la mort nous ont épuisés émotionnellement, physiquement, mentalement et spirituellement. Nous en avons assez d’être prudent.e.s, prévenant.e.s, socialement distant.e.s ; il est donc facile de replonger nos habitudes prépandémiques.

Nous devons garder à l’esprit le souvenir de l’année qui vient de s’écouler. Il faut non seulement maintenir l’habitude d’aller vers les autres, mais aussi adopter de nouveaux gestes et des comportements respectueux, prévenants et inclusifs pour en faire des automatismes. Il ne faudrait pas créer plus des frontières artificielles en matière de temps et d’espace. Nous devons maintenir une sorte de foi dans le processus, dans le geste même d’aller vers les autres.

L’ouverture d’esprit est essentielle. Il ne faut pas céder à la pression de simplement lancer des thématiques, mais plutôt se tourner vers les besoins et proposer aux gens de parler pour eux-mêmes (au lieu d’interpréter, de parler d’eux et de les anthropologiser ad nauseam). Ayons le courage de demander : « comment souhaitez-vous que nous travaillions ensemble ? », et assez d’intégrité pour aller jusqu’au bout.

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