Réfléchir aux pratiques commissariales en art numérique ainsi qu’aux individus et institutions qui les développent, en s’intéressant plus spécifiquement aux stratégies collaboratives, aux approches solidaires et au potentiel des nouvelles technologies, participe, me semble-t-il, d’une réflexion de nature holistique sur le concept de résonance.
Considérons la résonance à plusieurs niveaux, notamment comme l’effet de ce qui se répercute dans l’esprit, en tant que prolongement ou amplification de sonorités dans certains milieux, comme augmentation de l’amplitude d’un système tendant à produire des courants dans des circuits qui réagissent mutuellement. Si le principe de résonance est la propriété d’un espace où ce phénomène se produit, il exige en contrepartie une forme de perméabilité – une aptitude à se laisser transformer.
La qualité d’une œuvre, d’une conversation, d’une collaboration, est tributaire de la nature du rapport au monde qu’elle instaure et de la qualité d’écoute dont elle bénéficie, au risque de se scléroser ou de muter en une forme de la résistance. En cette période de changement de paradigme marquée par la pandémie, au cours de laquelle les individus et les institutions ont accéléré et accentué la migration des diverses formes de leurs actions et interactions vers les espaces numériques, il s’avère fondamental de réfléchir aux conditions optimales de résonance de ces nouveaux espaces dans lesquels cohabitent images, actions, idées, présences et énoncés.
S’il est convenu de se soucier de l’acoustique des architectures physiques, comment optimiser celle des espaces immatériels ? Bien qu’intrinsèques et fondamentales à cette réflexion, la qualité d’une œuvre ou d’une collaboration ne se mesure pas seulement en termes de ressources financières, matérielles, technologiques et humaines dont elle dispose, mais en considérant aussi la qualité de réciprocité, d’altérité et d’agentivité qu’elle favorise. Quels espaces numériques envisager et selon quelles méthodologies les concevoir pour agir au-delà des hiérarchies préétablies et éviter les écueils de la normativité latente et invasive ? Ce que nous traversons doit être l’occasion de recadrer significativement nos conceptions, nos définitions, nos interactions.
Le champ de l’art constitue une sphère de résonance centrale de la vie dans la mesure où « […] l’instauration d’une véritable relation de résonance suppose aussi, nécessairement, l’activation d’un mouvement réciproque par quoi l’on touche, déplace, transforme et façonne les choses. Ce processus inverse, lorsqu’il concerne le maniement des objets matériels, est ce que nous qualifions communément de travail.[1] »
Dans une perspective critique et spéculative, comment envisager le rôle de l’institution culturelle au sens large, en regard des individus dont elle prend soin et qui la constituent ? Comment éviter l’aliénation, lorsqu’un sujet est enfermé dans une relation sans complicité avec elle ? Une institution porte la responsabilité de faire résonner les collaborations entre artistes, travailleur.euse.s culturelle.s et citoyen.ne.s dans un écosystème connecté. Dans l’idée de l’activation d’un mouvement réciproque considérant la relation de l’humain au milieu de vie, envisageons l’institution comme une caisse de résonance prenant le monde et ses changements socioculturels comme inspiration liminaire, au cœur de laquelle art et collaboration s’avèrent catalyseurs.
[1] Harmut Rosa, Résonance. Une sociologie de la relation au monde, Paris : Éditions La Découverte, 2018, p. 266.