Bavardage

Irena Borić et Doris Kosminsky

Ce texte est le fruit d’une discussion entre deux personnes se trouvant à des endroits différents de la planète : le Brésil et la Slovénie. Il ne prétend pas être original ; il cherche plutôt à décrire un processus. Nous avons fait connaissance lors du symposium Repenser nos futurs : art et collaboration, organisé par Molior sous la forme de rencontres et d’ateliers. L’événement fut l’occasion de rencontrer des commissaires ainsi que des travailleurs culturels du monde entier et d’échanger sur différents thèmes touchant à l’art, à la technologie et à la collaboration, en particulier dans le domaine numérique.

À la suite de notre expérience du symposium, nous avons voulu explorer un peu plus la notion de collaboration et les moyens de la mettre en œuvre malgré le fait que nous ne nous connaissions pas. Ce texte est le résultat d’un processus plus large qui comprend nos rencontres et une séance de discussion avec les étudiants de Doris. Le point de départ de la discussion était l’article New Territories in Acre and Why They Matter, publié par Marjetica Potrč dans le e-flux journal en 2008. L’artiste y décrit son travail présenté à la Biennale de Sao Paulo. Bien que l’article porte sur un contexte brésilien antérieur, il était intéressant pour nous d’un point de vue pédagogique et relativement à l’importance de la communauté en tant qu’agent d’amélioration de la société. Il y est question du savoir autochtone des communautés de l’État de l’Acre, mais aussi de leur utilisation particulière de la haute technologie.

L’article laisse les Brésiliens nostalgiques d’une époque meilleure et utopique qui n’est plus. Nous avons demandé aux étudiants de partager leurs réflexions et de créer de courtes histoires à partir d’un point de vue non humain en s’inspirant du texte et de la discussion. Ils se sont prêtés au jeu et semblent avoir pris plaisir au processus malgré la difficulté de communiquer en anglais, langue que la plupart d’entre eux ne maîtrisent pas.

Cette séance avec les étudiants a été pour nous une occasion de recueillir des commentaires sur notre conception de la collaboration en ligne et d’approfondir notre réflexion à ce sujet. Grâce à la discussion en classe, nous avons pu découvrir un contexte différent, mais évidemment, cela a mis en évidence d’autres problèmes : nous ne pouvons pas partager un même espace physique, seulement un écran. Néanmoins, cela nous permet d’être ensemble au même moment et au même endroit, et cela est une expérience enrichissante.

Il y a toutefois une chose qui manque : les moments de bavardage, ces moments où les étudiants se retrouvent entre eux pour jaser. Cet espace n’existe plus maintenant qu’ils vivent dans des endroits différents et que la plupart d’entre eux ne se sont jamais rencontrés auparavant. Les choses se déroulent autrement lorsque chacun est chez soi. Malgré tout, les étudiants se sont montrés ouverts à l’expérience, tel qu’en témoigne la vidéo en anglais réalisée par Diva Costa sur un poème qu’elle a écrit pendant la séance.

Ce poème, intitulé The Gap Between [Dans l’intervalle], pourrait être associé à l’idée de bavardage, car le bavardage constitue souvent un espace ou un intervalle qui s’inscrit dans le fil de quelque chose d’important et d’engageant. L’intervalle devient un moment de bavardage sans but précis, une sorte de tampon ou quelque chose du genre.

The Gap Between [Dans l’intervalle]

Je vis dans l’intervalle.

Hier je vivais dans un espace plus vaste.

Mais aujourd’hui, je vis dans l’intervalle.

J’ai trouvé cet espace en naviguant au vent,

parfois avec les oiseaux.

Il est difficile, de nos jours,

de trouver un espace où grandir.

Les plus grands m’aident beaucoup,

de même que la pluie.

Car je peux fendre l’espace

et vivre dans l’intervalle.

Et quand je trouve une brèche,

je m’y dépose

en espérant que s’infiltre le soleil.

Je ne suis jamais seule,

car j’ai besoin de collaborer avec les autres pour exister.

Même dans l’intervalle.

Par Diva Costa lien vers la vidéo

Ce type de séance d’apprentissage en ligne peut-il être envisagé comme une communauté ? Dans quelle mesure sommes-nous ensemble dans une classe à distance ? Formons-nous une sorte de communauté d’apprentissage temporaire ?

Temporaire serait le mot clé ici ; on ne saurait dire s’il s’agit d’une communauté. Nous en saurons sans doute plus dans un avenir rapproché, car certains de ces étudiants n’ont eu que des cours en ligne. La durée du trajet pour aller et revenir de l’université peut être un moment utile pour réfléchir ou mettre de l’ordre dans ses idées. Cela aussi a disparu. Mais peut-être est-ce une bonne chose, qui sait. Les étudiants ont plus de temps pour étudier et cuisiner à la maison, ce qui est sain.

La notion de collectif en ligne peut être comprise comme un espace désigné où il est possible de converser, d’exprimer des opinions et de partager des idées. Toutefois, les conditions de vie des membres d’un collectif temporaire sont différentes, et cette matérialité interfère avec l’espace en ligne. Elle ajoute des couches supplémentaires à l’expérience d’apprentissage, mais elle invite également à reconnaître d’autres pédagogies. L’expérience d’apprentissage ne devrait peut-être pas se limiter à l’étude de textes ou à des discussions très ciblées. Il faudrait faire de la place pour l’interruption, pour une pause, pour simplement être ou respirer, et même pour l’échec. L’intervalle ou le bavardage métaphorique qui n’a pas besoin d’être verbalisé pourrait ainsi être un aspect déterminant de la pédagogie en ligne.

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